J’ai tout perdu pour un mirage : le prix amer de l’infidélité
« Tu n’as même pas eu le courage de me regarder dans les yeux, Antoine. » Sa voix tremblait, mais elle restait droite, digne, comme toujours. Je me souviens encore de ce soir d’octobre, dans notre petit salon de la rue des Lilas à Lyon. Les murs semblaient se resserrer autour de moi, étouffant mes mots, mes excuses dérisoires. Camille, ma femme depuis huit ans, celle qui avait partagé mes galères d’étudiant, qui avait cru en moi quand je n’étais rien, me fixait avec une tristesse glaciale.
Je n’ai jamais su expliquer comment j’en suis arrivé là. Peut-être était-ce la fatigue des années, la routine qui s’installe, ou ce sentiment absurde que l’herbe est plus verte ailleurs. J’avais rencontré Sophie lors d’un séminaire à Bordeaux. Elle était brillante, drôle, et surtout, elle me regardait comme si j’étais un héros. J’ai cru retrouver à ses côtés la fougue de mes vingt ans. Mais ce n’était qu’un mirage.
Camille et moi, on s’était connus sur les bancs de la fac de droit. On avait loué un minuscule studio sous les toits, mangé des pâtes pendant des mois, partagé nos rêves et nos angoisses. Après le diplôme, on s’est mariés à la mairie du 3e arrondissement ; une cérémonie simple mais pleine de rires et de promesses. Elle a accepté sans broncher mes horaires impossibles quand j’ai monté mon cabinet d’avocat. Elle a travaillé dur dans une petite librairie pour payer le loyer pendant que je courais après mes premiers clients.
Mais la réussite est arrivée. Trop vite peut-être. On a acheté un bel appartement, puis une maison en périphérie. Les vacances à Biarritz, les dîners entre amis… et puis la distance. Je rentrais tard, fatigué, préoccupé. Camille me demandait si tout allait bien ; je répondais par des silences ou des phrases toutes faites. Elle a senti que quelque chose clochait bien avant que je ne l’avoue.
Le jour où je lui ai dit que je partais pour une autre femme, elle n’a pas pleuré. Elle a juste serré les poings et m’a demandé pourquoi. Je n’ai pas su répondre. J’ai quitté la maison avec une valise et le cœur serré. Sophie m’attendait dans un appartement impersonnel du centre-ville. Au début, tout semblait léger, excitant. Mais très vite, j’ai compris que je n’étais qu’un homme en fuite.
Les mois ont passé. Sophie voulait des projets, des enfants ; moi, je pensais à Camille chaque soir en m’endormant. Je repassais nos souvenirs en boucle : nos promenades sur les quais du Rhône, les soirées à refaire le monde autour d’un verre de vin bon marché… J’ai réalisé que j’avais sacrifié l’essentiel pour une illusion.
Un soir d’hiver, j’ai croisé Camille par hasard devant la librairie où elle travaillait toujours. Elle portait un manteau bleu marine et riait avec une collègue. Mon cœur s’est serré. J’ai voulu lui parler ; elle m’a salué poliment mais son regard était ailleurs. J’ai compris qu’elle avait commencé à se reconstruire sans moi.
J’ai tenté de la revoir. Je lui ai écrit des lettres, envoyé des messages : « Pardonne-moi », « Je me suis trompé », « Donne-moi une seconde chance ». Elle m’a répondu une seule fois :
— Antoine, tu as fait ton choix. J’ai trop souffert pour revenir en arrière.
J’ai insisté, supplié même :
— Camille… Je t’en prie… Je ne suis rien sans toi.
Elle a haussé les épaules :
— Tu as été quelqu’un sans moi pendant des mois. Apprends à vivre avec tes décisions.
Ma famille ne m’a pas épargné non plus. Ma mère m’a dit : « Tu as brisé ce que tu avais de plus précieux pour un caprice. » Mon père ne m’a plus adressé la parole pendant des semaines.
Les amis communs ont choisi leur camp ; certains m’ont rayé de leur vie. J’ai compris que l’infidélité ne détruit pas seulement un couple : elle fissure tout un réseau d’affection et de confiance.
Aujourd’hui, je vis seul dans un deux-pièces impersonnel à Villeurbanne. Le silence me pèse chaque soir. Je repense à Camille qui a retrouvé le sourire, paraît-il, auprès d’un autre homme – un professeur de lettres rencontré lors d’un atelier d’écriture.
Je ne dors plus vraiment ; je tourne en rond dans mon salon en me demandant comment j’ai pu être aussi aveugle et égoïste. Parfois je croise mon reflet dans la vitre et je ne me reconnais plus.
Est-ce que le pardon existe vraiment ? Peut-on réparer ce qu’on a brisé ? Ou faut-il apprendre à vivre avec ses regrets comme on traîne une vieille valise trop lourde ?
Et vous… avez-vous déjà tout perdu pour un mirage ?