À cinquante ans, seule face à l’abandon : Mon mari m’a quittée pour une autre
« Tu comprends, Françoise… Je ne peux plus continuer comme ça. J’ai besoin de vivre autre chose. »
La voix de Bernard résonne encore dans ma tête, froide et tranchante comme un couperet. Il n’a même pas osé me regarder dans les yeux quand il a prononcé ces mots. Trente ans de mariage, balayés en quelques phrases. Je suis restée là, figée dans la cuisine, les mains tremblantes sur la table en formica, le regard perdu sur la nappe à carreaux rouges.
Je n’ai rien dit. J’ai senti mes jambes fléchir sous le poids de la trahison. Bernard, mon Bernard, celui que j’avais rencontré à la fac de lettres à Lyon, celui qui m’avait fait rire lors de ce fameux cours d’histoire médiévale où il avait confondu Aliénor d’Aquitaine avec Jeanne d’Arc. Nous étions jeunes, insouciants, amoureux. Je croyais que rien ne pourrait jamais nous séparer.
Nous avions tout construit ensemble : notre appartement à Villeurbanne, nos deux enfants, Camille et Julien, nos étés à la Baule chez mes parents. J’ai mis ma carrière entre parenthèses pour élever les enfants pendant que Bernard montait les échelons dans son cabinet d’architectes. Je ne lui en ai jamais voulu. C’était normal, c’était ce qu’on faisait à l’époque.
Mais aujourd’hui, à cinquante ans, je me retrouve seule dans ce grand appartement silencieux. Les enfants sont partis : Camille vit à Toulouse avec son compagnon, Julien termine ses études à Paris. Bernard a fait ses valises en une matinée et s’est installé chez « elle ». Elle… Sophie. Une collègue plus jeune de vingt ans. Je l’avais déjà croisée lors d’un pot au bureau. Elle avait ri à ses blagues, posé sa main sur son bras. J’avais senti un frisson d’inquiétude mais je m’étais dit que j’étais ridicule, que Bernard n’était pas ce genre d’homme.
« Maman, tu vas t’en sortir », m’a dit Camille au téléphone. Mais sa voix tremblait autant que la mienne. Julien a été plus dur : « Papa est un salaud, mais tu n’as pas besoin de lui pour exister ! »
Facile à dire…
Les premiers jours ont été un cauchemar. Je me suis surprise à parler toute seule dans l’appartement vide. J’ai ouvert les placards pour sentir ses chemises, j’ai pleuré sur son oreiller. J’ai même appelé sa mère pour lui demander si elle savait quelque chose. Elle a soupiré : « Tu sais, Françoise, les hommes… » Comme si c’était une fatalité.
La solitude est devenue une compagne sournoise. Les amis communs ont pris des nouvelles au début puis se sont éloignés, gênés par mon malheur comme s’il était contagieux. Au supermarché, je croise des couples de mon âge qui se tiennent la main et j’ai envie de hurler.
Un soir, j’ai croisé ma voisine du dessus sur le palier. Elle m’a invitée à prendre un thé chez elle. Elle aussi a été quittée par son mari il y a dix ans. « On croit mourir, mais on survit », m’a-t-elle dit en me serrant la main.
J’ai essayé de remplir mes journées : bénévolat à la bibliothèque municipale, cours d’aquagym avec des femmes de mon âge qui rient fort pour masquer leur propre solitude. Mais le soir venu, le vide me rattrape.
Un dimanche matin, alors que je rangeais la cave, je suis tombée sur une vieille boîte à chaussures remplie de lettres d’amour que Bernard m’avait écrites quand nous étions étudiants. Je les ai relues toutes, une par une, en pleurant comme une enfant. Comment peut-on passer de tant d’amour à tant d’indifférence ?
J’ai tenté d’en parler à mes enfants mais ils sont loin et leur vie continue. Ma mère est morte il y a deux ans et mon père est en maison de retraite à Dijon ; il ne se souvient même plus de mon prénom.
Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres et que je n’arrivais pas à dormir, j’ai allumé la radio et suis tombée sur une émission où des femmes racontaient leur renaissance après un divorce tardif. L’une d’elles disait : « À cinquante ans, on n’est pas finie ! »
Cette phrase a résonné en moi comme un défi.
J’ai décidé d’aller voir une psychologue du quartier. Au début, je ne faisais que pleurer dans son cabinet aux murs jaunes pâles. Puis peu à peu, j’ai commencé à parler de moi autrement qu’à travers Bernard ou les enfants. Qui suis-je ? Qu’est-ce que j’aime ? Qu’est-ce que je veux faire du reste de ma vie ?
J’ai repris la peinture, une passion abandonnée depuis la naissance des enfants. J’ai accroché mes toiles dans le salon vide et pour la première fois depuis longtemps, j’ai ressenti une fierté timide.
Mais la peur ne me quitte pas : peur de finir seule, peur de ne plus jamais aimer ni être aimée. Les regards des autres me pèsent : dans notre société française, une femme seule de cinquante ans est vite invisible ou jugée responsable de son malheur.
Parfois je croise Bernard dans le quartier avec Sophie. Il détourne les yeux ; elle me lance un sourire gêné. Je rentre chez moi le cœur serré mais je me force à ne pas pleurer.
Aujourd’hui encore, chaque matin est un combat contre l’envie de rester sous la couette et d’attendre que le temps passe plus vite.
Mais je me bats pour retrouver un sens à ma vie sans lui.
Est-ce qu’on peut vraiment recommencer à vivre après avoir tout perdu ? Est-ce que la solitude est une fatalité ou une chance de se retrouver ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?