Pourquoi j’interdis à ma fille de divorcer : le prix du bonheur parfait

— Tu ne comprends pas, maman ! Je ne suis pas heureuse !

La voix de Camille résonne dans la cuisine, brisant le silence du petit matin. Je serre ma tasse de café entre mes mains tremblantes. Le soleil timide éclaire à peine les rideaux fleuris que j’ai choisis il y a vingt ans, quand tout semblait encore possible. Je regarde ma fille, ses yeux rougis par les larmes, et je sens la colère monter en moi.

— Tu n’es pas heureuse ? Tu as tout ce dont tu as toujours rêvé ! Un mari qui t’aime, une belle maison à Versailles, deux enfants en bonne santé… Que veux-tu de plus ?

Camille détourne le regard. Elle joue nerveusement avec sa bague en or, celle qu’Antoine lui a offerte pour leurs dix ans de mariage. Je me souviens encore du jour où elle est rentrée à la maison, rayonnante, exhibant ce bijou comme un trophée. J’étais fière d’elle. Fière qu’elle ait su choisir un homme stable, ambitieux, qui lui offrait la sécurité que je n’avais jamais eue.

Mais aujourd’hui, tout s’effondre. Elle veut divorcer. Pour moi, c’est impensable. Dans notre famille, on ne divorce pas. On endure. On se bat. On protège les apparences.

— Maman, tu ne sais pas ce que je vis avec Antoine. Il n’est pas celui que tu crois…

Je sens mon cœur se serrer. Je repense à mon propre mariage avec Gérard, son père. Un homme absent, toujours en déplacement pour « assurer notre avenir », disait-il. Mais il ramenait surtout des dettes et des silences pesants. J’ai tout fait pour que Camille ait une vie meilleure. Peut-être trop.

— Tu voulais un homme qui te protège du besoin, non ? Tu l’as eu ! Antoine n’a jamais manqué à ses devoirs.

Camille éclate :

— Ce n’est pas ça, maman ! Il n’y a jamais eu d’amour entre nous… Juste des comptes à rendre, des dîners mondains où je dois sourire alors que je meurs à l’intérieur !

Je reste sans voix. Je revois la petite fille qu’elle était : déterminée à épouser un « homme d’affaires » pour ne jamais manquer de rien. Elle répétait sans cesse : « Je ne veux pas finir comme toi, maman. » Ces mots me hantent encore.

Je me lève brusquement et commence à ranger la vaisselle pour masquer mon trouble. Mon reflet dans la vitre me renvoie l’image d’une femme fatiguée, usée par les compromis.

— Tu crois que la vie est facile ? Que le bonheur tombe du ciel ? On fait des choix, Camille. On les assume.

Elle s’approche de moi, pose sa main sur mon épaule.

— Mais à quel prix ? J’étouffe dans cette vie parfaite que tu as voulue pour moi…

Un silence lourd s’installe. J’entends au loin les rires de mes petits-enfants qui jouent dans le jardin. Je pense à tout ce que nous risquons de perdre : la maison familiale, les vacances à Arcachon, les repas du dimanche où tout le monde fait semblant d’être heureux.

Je repense aussi à mon propre père, qui m’a mariée à Gérard parce qu’il avait « une bonne situation ». J’ai obéi sans broncher. J’ai appris à sourire malgré les absences et les humiliations silencieuses.

— Tu sais, maman… Antoine me contrôle sans cesse. Il lit mes messages, il décide de tout : où je vais, qui je vois… Je ne suis plus moi-même.

Je sens une boule dans ma gorge. Est-ce possible ? Antoine, si poli, si charmant…

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Parce que tu ne m’aurais pas crue… Tu as toujours préféré croire au conte de fées.

Je m’effondre sur une chaise. Tout s’écroule autour de moi. Ai-je été aveugle ? Ai-je sacrifié le bonheur de ma fille sur l’autel des apparences ?

Camille s’agenouille devant moi.

— J’ai besoin de ton soutien, maman… Pas de tes reproches.

Je caresse ses cheveux comme quand elle était petite. Je voudrais la protéger du monde entier, mais je comprends soudain que c’est moi qui l’ai enfermée dans cette prison dorée.

Le soir venu, alors que la maison s’endort, je relis les messages qu’Antoine a envoyés à Camille : des mots froids, des ordres déguisés en conseils. Je comprends enfin ce qu’elle endure.

Le lendemain matin, je prends une décision difficile. J’appelle Camille dans sa chambre.

— Ma chérie… Si tu veux divorcer, je serai là pour toi. Je t’aiderai à te reconstruire.

Elle me serre fort dans ses bras et pleure longtemps contre mon épaule.

Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je le droit d’imposer ma vision du bonheur à mes enfants ? Est-ce que le bonheur parfait existe vraiment ou n’est-ce qu’une illusion que l’on poursuit toute sa vie ? Qu’en pensez-vous ?