Lettre à l’amante de mon mari — Cinq ans après : Ce que tu es devenue pour moi

« Tu sais, parfois je me demande si tu te souviens encore de mon prénom. Moi, je n’ai jamais pu prononcer le tien sans sentir un goût amer dans la bouche. »

Je suis assise sur le vieux canapé du salon, celui que nous avions choisi ensemble chez Conforama, un samedi pluvieux de novembre. Les enfants dorment à l’étage. Il est deux heures du matin et je n’arrive pas à fermer l’œil. Cinq ans ont passé depuis que j’ai découvert vos messages, vos rendez-vous secrets dans ce petit hôtel de la rue Saint-Antoine. Cinq ans depuis que mon monde s’est effondré.

Je me souviens encore de ce soir-là. J’avais préparé un gratin dauphinois, ton plat préféré, Pierre. Tu es rentré tard, nerveux, le regard fuyant. J’ai su tout de suite. Mais ce n’est pas à toi que je veux parler ce soir. Non, c’est à toi, la femme qui a cru pouvoir voler mon mari, mon foyer, la stabilité de mes enfants.

« Tu pensais quoi ? Que tu allais le rendre heureux ? Que tu étais différente de moi ? »

Je t’imagine encore, dans ton petit appartement du 11ème arrondissement, à attendre ses messages, à guetter le moindre signe d’attention. Tu croyais vraiment qu’il allait tout quitter pour toi ? Tu ne savais pas qu’il avait déjà fait ça avant, avec une autre ?

Je me souviens de la première fois où j’ai vu ton prénom s’afficher sur son téléphone. J’ai ressenti une douleur physique, comme si on m’arrachait le cœur à mains nues. J’ai voulu hurler, tout casser, mais il y avait les enfants dans la pièce d’à côté. Alors j’ai souri, j’ai fait semblant de rien. Je me suis dit : « Ça va passer. »

Mais ça n’est jamais passé.

Les semaines qui ont suivi ont été un enfer. Pierre rentrait de plus en plus tard. Il sentait le parfum qui n’était pas le mien. Il riait moins avec les enfants. Un soir, il a oublié l’anniversaire de notre fille, Camille. Elle avait préparé un dessin pour lui, elle l’a attendu toute la soirée devant la fenêtre. Je t’en veux pour ça plus que pour tout le reste.

Un jour, j’ai craqué. Je lui ai demandé : « Tu l’aimes ? » Il n’a rien répondu. Le silence a été plus violent que n’importe quel mot.

Tu sais ce que c’est d’expliquer à deux enfants que leur père ne rentrera pas ce soir ? Qu’il a « besoin de réfléchir » ? Tu sais ce que c’est de voir leur regard se briser ?

Je t’en ai voulu, oh oui. J’ai rêvé de te croiser dans la rue pour te dire tout ce que j’avais sur le cœur. Mais je ne l’ai jamais fait. Je suis restée digne. J’ai continué à aller travailler tous les matins à la mairie du 12ème, à sourire aux collègues qui murmuraient dans mon dos.

Et puis il y a eu ce jour où Pierre est revenu. Il avait les yeux rouges, il tremblait comme un enfant perdu. Il m’a dit : « Je me suis trompé. » J’aurais pu le gifler. J’aurais pu lui claquer la porte au nez. Mais j’ai pensé aux enfants.

On a essayé de recoller les morceaux. On a fait une thérapie de couple avec Madame Lefèvre, cette psychologue qui sentait la lavande et posait toujours les mêmes questions : « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? »

La vérité ? Je ne savais plus qui j’étais.

Les mois ont passé. Pierre s’est investi à la maison, il a arrêté de sortir après le travail. Mais quelque chose était brisé en moi. La confiance ne revient jamais vraiment.

Et toi ? Qu’es-tu devenue ?

J’ai appris par une amie commune que tu avais quitté Paris pour Lyon. Que tu avais changé de travail, que tu vivais seule avec un chat. Est-ce que tu penses encore à lui ? Est-ce que tu regrettes ?

Parfois je me dis que tu as payé cher ta naïveté. Tu as cru aux promesses d’un homme marié, tu as cru qu’il allait tout quitter pour toi. Mais Pierre n’a jamais eu ce courage-là.

Je ne te plains pas. Mais je ne te hais plus non plus.

Aujourd’hui, cinq ans après, je me rends compte que tu n’étais qu’un symptôme d’un mal plus profond dans notre couple. Tu as été l’étincelle qui a tout fait exploser, mais la poudre était déjà là depuis longtemps.

J’ai appris à vivre avec cette cicatrice. J’ai repris des études à distance pour devenir assistante sociale. J’aide des femmes qui traversent ce que j’ai vécu. Parfois je pense à toi quand je les écoute pleurer dans mon bureau.

Pierre et moi ne sommes plus ensemble aujourd’hui. Nous avons divorcé il y a deux ans. Les enfants vont bien — ils grandissent trop vite — et nous avons trouvé un équilibre fragile.

Je t’écris cette lettre que tu ne liras sans doute jamais parce qu’il fallait que je pose des mots sur ce passé qui me hante encore parfois.

Tu n’es plus qu’un mauvais souvenir.

Mais dis-moi… Toi aussi tu as réussi à te reconstruire ? Ou bien restes-tu prisonnière de cette histoire qui n’a rendu heureux personne ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment pardonner l’impardonnable ?