La nuit où mes rêves se sont brisés : une soirée inoubliable
« Tu ne vas quand même pas sortir avec ça sur le dos ? » La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, tranchante comme un couteau. Je suis debout devant le miroir du couloir, les mains tremblantes sur le tissu bleu pâle de ma robe. C’est la première fois que je porte quelque chose d’aussi joli, quelque chose que j’ai choisi moi-même, avec mes économies. J’ai onze ans, et ce soir, c’est le bal du collège. Je me suis imaginée mille fois entrer dans la salle des fêtes, les lumières dansant sur les murs, mes amies me souriant, peut-être même qu’Antoine me remarquerait enfin.
Mais là, dans l’entrée de notre appartement à Lyon, tout s’effondre. Mon père s’approche, un sourire moqueur aux lèvres : « On dirait une vieille nappe ! » Il éclate de rire. Ma mère le suit : « Tu aurais pu demander mon avis avant d’acheter ça… » Je sens mes joues brûler. J’ai envie de disparaître. Je serre les dents pour ne pas pleurer devant eux.
« Camille, tu es ridicule », ajoute ma mère en haussant les épaules. « Va te changer. »
Je monte dans ma chambre en courant, la gorge serrée. J’entends encore leurs rires étouffés derrière la porte. Je m’effondre sur mon lit, la robe froissée sous moi. Pourquoi ? Pourquoi ne peuvent-ils pas juste être fiers de moi ? Pourquoi faut-il toujours qu’ils critiquent tout ce que je fais ?
Je repense à la boutique où j’ai trouvé cette robe. La vendeuse m’avait souri gentiment : « Elle te va très bien, tu sais. » Pour une fois, je m’étais sentie jolie. Mais là, tout ce que je vois dans le miroir, c’est une gamine stupide qui a cru qu’elle pouvait être différente.
Mon téléphone vibre : un message de Chloé. « T’es prête ? On se retrouve en bas dans 10 minutes ! » Je n’ose pas répondre. Je regarde la robe, puis mon jean et mon pull posés sur la chaise. Je pourrais me changer, faire plaisir à mes parents… Mais à quoi bon ?
Je descends finalement, la robe toujours sur moi, le cœur battant à tout rompre. Ma mère me lance un regard noir : « Tu fais ce que tu veux, mais ne viens pas pleurer après si on se moque de toi là-bas. »
Dans l’ascenseur, je retiens mes larmes. Chloé m’attend devant l’immeuble, magnifique dans sa robe rouge. Elle me sourit : « Waouh Camille, t’es trop belle ! » Je sens un poids se lever de mes épaules. Peut-être que ce soir ne sera pas si terrible.
Mais à peine arrivée dans la salle des fêtes du collège Jean Moulin, je sens les regards se tourner vers moi. Certains chuchotent, d’autres rient discrètement. Paul, le garçon le plus populaire de la classe, lance à voix haute : « Eh ben Camille, t’as piqué la nappe de ta grand-mère ? » Les autres éclatent de rire.
Je voudrais disparaître. Chloé me prend la main : « Laisse-les parler… Viens danser ! » Mais je n’arrive pas à bouger. Les mots de mes parents résonnent dans ma tête, amplifiés par ceux des autres élèves.
Je me réfugie aux toilettes et m’enferme dans une cabine. J’entends deux filles parler derrière la porte :
— « T’as vu sa robe ? On dirait vraiment une nappe ! »
— « Grave… Moi j’aurais honte à sa place. »
Je retiens un sanglot. Pourquoi est-ce si difficile d’être soi-même ? Pourquoi faut-il toujours rentrer dans le moule ?
Je reste là longtemps, jusqu’à ce que la musique s’arrête et que les voix s’éloignent. Quand je ressors enfin, la salle est presque vide. Chloé m’attend près du vestiaire.
« Ça va ? » demande-t-elle doucement.
Je secoue la tête. « Non… Je veux rentrer chez moi. »
Sur le chemin du retour, Chloé ne dit rien mais serre fort ma main. Arrivée devant chez moi, je prends une grande inspiration avant d’entrer.
Mes parents sont devant la télé. Ma mère lève à peine les yeux : « Alors ? Tu vois qu’on avait raison… »
Je monte dans ma chambre sans répondre et m’effondre sur mon lit. Cette nuit-là, je pleure toutes les larmes de mon corps.
Les jours suivants sont difficiles au collège. Les moqueries continuent : « Salut la nappe ! », « T’as d’autres déguisements comme ça ? » Même certains profs semblent gênés quand ils me croisent.
À la maison, c’est le silence ou les reproches : « Tu devrais apprendre à écouter », « On veut juste ton bien ». Mais leur bien n’est pas le mien.
Un soir, alors que je dîne seule dans la cuisine – mes parents sont sortis – je regarde mon reflet dans la vitre noire de la fenêtre. Est-ce que je dois vraiment changer pour leur plaire ? Pour plaire aux autres ?
Je décide alors d’écrire une lettre à mes parents :
« Papa, Maman,
Je sais que vous pensez savoir ce qui est mieux pour moi. Mais parfois vos mots me blessent plus que vous ne l’imaginez. J’aimerais juste que vous soyez fiers de moi pour ce que je suis, pas pour ce que vous voudriez que je sois.
Camille »
Je laisse la lettre sur la table du salon et vais me coucher.
Le lendemain matin, ma mère frappe doucement à ma porte.
— « Camille… On peut parler ? »
Sa voix tremble un peu.
— « On ne voulait pas te faire de mal… On a été maladroits. »
Mon père arrive derrière elle :
— « Tu étais très jolie dans ta robe… On aurait dû te le dire. »
Les larmes me montent aux yeux mais cette fois ce sont des larmes différentes.
Ce soir-là, je comprends que parfois il faut du courage pour être soi-même et encore plus pour dire aux autres qu’ils nous ont blessés.
Est-ce qu’on doit toujours se conformer aux attentes des autres pour être aimé ? Ou bien oser être soi-même malgré tout ? Qu’en pensez-vous ?