La Dernière Promesse de Maman : Entre Larmes et Espoir à Saint-Martin
— Tu me promets, Camille ? Tu ne laisseras pas ta sœur seule…
La voix de maman tremble, à peine audible sous le masque d’oxygène. Je serre sa main glacée, les yeux brouillés de larmes. Dans la chambre blanche de l’hôpital de Saint-Martin, le temps semble suspendu. Le bip régulier du moniteur cardiaque rythme mes pensées affolées. Je voudrais hurler, mais je me contente d’acquiescer, incapable de prononcer un mot.
Ma sœur, Élodie, n’est pas là. Elle n’est jamais là. Depuis des années, elle a coupé les ponts avec maman, avec moi, avec tout ce qui rappelle notre enfance dans cette petite maison de la rue des Tilleuls. Je me retrouve seule à porter le poids de cette famille brisée.
— Camille, tu m’entends ?
Je sursaute. Maman s’accroche à mes doigts comme si elle voulait m’ancrer à elle, me transmettre sa force ou peut-être sa peur. Je voudrais lui dire que tout ira bien, mais je sais que ce serait mentir. Elle va mourir. Et moi, je dois tenir ma promesse.
Le lendemain matin, je sors dans le couloir pour appeler Élodie. Mon cœur bat la chamade. Je compose son numéro, hésite à appuyer sur « appeler ». Finalement, je me lance.
— Allô ?
— Élodie… c’est moi. C’est urgent. Maman…
Un silence glacial s’installe.
— Je ne veux pas en parler, Camille. Tu sais pourquoi.
— Elle va mourir, Élodie ! Tu ne peux pas…
— Arrête ! Je ne veux plus entendre parler d’elle ni de toi !
Elle raccroche. Je reste figée, le téléphone collé à l’oreille, les larmes coulant sur mes joues. Comment tenir une promesse impossible ?
Je retourne auprès de maman. Elle dort. Son visage est paisible, presque enfantin. Je m’assois et je repense à notre enfance : les dimanches au marché, les gâteaux au chocolat qu’elle préparait pour nos anniversaires, les disputes aussi… Surtout celle qui a tout brisé.
Papa est parti quand j’avais douze ans. Maman s’est effondrée, Élodie aussi. Moi, j’ai fait semblant d’être forte. Mais Élodie n’a jamais pardonné à maman de ne pas avoir su retenir papa, de s’être laissée engloutir par la tristesse au point d’oublier ses filles.
Le soir venu, maman se réveille.
— Tu as parlé à ta sœur ?
Je mens.
— Oui… Elle viendra bientôt.
Maman sourit faiblement. Je me sens coupable, mais je ne veux pas qu’elle parte avec ce chagrin supplémentaire.
Les jours passent. Les médecins parlent à demi-mot. Je dors sur une chaise pliante, je mange des sandwichs froids à la cafétéria de l’hôpital. Les amis de maman passent parfois, déposent des fleurs ou des mots doux sur la table de chevet. Mais Élodie ne vient pas.
Un matin, alors que je m’endors sur le rebord de la fenêtre, j’entends une voix familière dans le couloir.
— Je cherche la chambre de Madame Lefèvre…
Mon cœur s’arrête. C’est Élodie. Elle entre dans la chambre, les yeux rougis par la fatigue ou la colère, je ne sais pas.
— Salut maman…
Maman ouvre les yeux et sourit comme si elle voyait un miracle.
— Ma chérie…
Élodie reste debout près de la porte, raide comme une statue. Je sens toute la tension accumulée pendant des années flotter dans l’air.
— Tu voulais me voir ?
— Oui… Je voulais te dire que je t’aime… malgré tout.
Élodie détourne les yeux. Les larmes coulent enfin sur ses joues.
— Moi aussi…
Je sors discrètement pour leur laisser un moment d’intimité. Dans le couloir, je m’effondre sur une chaise et laisse éclater tout ce que j’ai retenu depuis des semaines.
Plus tard, Élodie me rejoint.
— Pourquoi tu m’as appelée ? Tu savais que je ne voulais pas revenir ici.
— Parce que c’était son dernier souhait… Et parce que malgré tout ce qui s’est passé, on reste une famille.
Elle soupire longuement.
— Tu crois qu’on pourra se pardonner un jour ?
— Je ne sais pas… Mais on peut essayer.
Maman s’éteint deux jours plus tard, paisiblement, entourée de ses deux filles enfin réunies. À l’enterrement, il pleut à verse sur le petit cimetière de Saint-Martin. Les gens murmurent des mots de réconfort qui sonnent creux dans le vent froid.
Après la cérémonie, Élodie et moi restons seules devant la tombe fraîchement refermée.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demande-t-elle d’une voix brisée.
— On tient notre promesse… On reste ensemble.
Je sens sa main chercher la mienne dans la poche de mon manteau trempé. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression que quelque chose est possible entre nous.
Mais au fond de moi, une question me hante : combien de familles se déchirent ainsi en silence ? Et combien d’entre nous attendent trop longtemps pour se dire les mots essentiels ?