Le Choix de Capucine : Une Nuit au Commissariat
— Maman, on va manger ce soir ?
La voix de Léa, ma fille de huit ans, tremblait dans l’air froid du supermarché. Je serrais sa main, le cœur battant à m’en briser les côtes. Autour de nous, les rayons débordaient de dindes, de marrons, de bûches glacées. Les familles riaient, les caddies débordaient. Moi, j’avais cinq euros dans mon porte-monnaie et deux enfants affamés.
Je n’avais jamais volé. Mais ce soir-là, la honte était moins forte que la faim. J’ai glissé une boîte de haricots verts et un petit rôti sous mon manteau. Léa me regardait avec de grands yeux ronds, sans comprendre. Je lui ai murmuré :
— C’est juste pour ce soir, ma chérie.
À la caisse, mon cœur s’est arrêté. Un vigile m’a attrapée par le bras. J’ai senti le regard des autres clients sur moi, lourd comme une pierre. Il a appelé la police. Léa s’est mise à pleurer, Hugo a serré mon manteau.
Au commissariat du quartier Saint-Paul, tout sentait le café froid et la fatigue. L’officier Moreau est arrivé, grand, les cheveux poivre et sel, l’air fatigué mais pas méchant. Il a regardé mon dossier, puis mes enfants.
— Vous savez pourquoi vous êtes là ?
J’ai hoché la tête, incapable de parler. Léa sanglotait doucement.
— Pourquoi ?
J’ai craqué :
— Parce qu’on n’a plus rien à manger… Mon mari est parti il y a six mois. J’ai perdu mon travail à l’usine. J’ai tout essayé… Les assistantes sociales disent qu’il faut attendre…
Il a soupiré longuement. Puis il s’est accroupi devant mes enfants.
— Vous avez faim ?
Hugo a hoché la tête sans un mot.
Il s’est relevé et m’a regardée droit dans les yeux :
— Ce que vous avez fait est grave… Mais je comprends. Je vais voir ce que je peux faire.
Il est sorti du bureau. J’ai attendu, le ventre noué d’angoisse. J’imaginais déjà les services sociaux, la honte à l’école, les voisins qui sauraient tout.
Après dix minutes qui m’ont paru une éternité, il est revenu avec un sac plein de courses : des pâtes, des œufs, un petit poulet rôti, même une boîte de chocolats.
— Ce n’est pas la solution à long terme, madame Martin. Mais ce soir, vous allez rentrer chez vous avec vos enfants et manger ensemble. Demain matin, venez me voir ici. On va appeler l’assistante sociale ensemble.
Je n’arrivais pas à y croire.
— Pourquoi vous faites ça ?
Il a haussé les épaules :
— Parce que j’ai grandi dans une cité HLM à Nanterre. Je sais ce que c’est d’avoir faim.
Sur le chemin du retour, Léa m’a demandé :
— Maman, il est gentil le monsieur policier ?
J’ai souri pour la première fois depuis des semaines.
Le lendemain matin, j’étais au commissariat à huit heures tapantes. L’officier Moreau m’attendait avec un café chaud et un sourire fatigué. Il a appelé devant moi l’assistante sociale du secteur. Grâce à lui, j’ai eu un rendez-vous en urgence pour obtenir une aide alimentaire et une place en crèche pour Hugo.
Les semaines suivantes ont été difficiles mais différentes. Je n’avais plus honte de demander de l’aide. L’officier Moreau passait parfois nous voir avec des sacs de vêtements ou des jouets pour les enfants. Il ne voulait jamais qu’on le remercie.
Un soir de décembre, alors que je préparais un gratin pour mes enfants dans notre petit appartement social, Léa m’a dit :
— Tu crois qu’on pourra aider quelqu’un plus tard nous aussi ?
J’ai senti les larmes monter.
La vie n’est pas redevenue facile du jour au lendemain. Mais ce geste inattendu a tout changé : il m’a rendue ma dignité et m’a montré que la solidarité existe encore dans notre pays.
Parfois je me demande : si l’officier Moreau avait choisi d’appliquer la loi sans réfléchir… où serions-nous aujourd’hui ? Est-ce que la compassion devrait toujours primer sur la règle ? Qu’en pensez-vous ?