Entre Deux Générations : Comment Dire à Ma Belle-Fille Qu’Elle Est Mère, Pas Une Petite Fille

« Camille, tu pourrais au moins poser ton téléphone quand tu donnes à manger à Léa ! » Ma voix tremble, oscillant entre la colère et la lassitude. Assise en face de moi, Camille lève à peine les yeux de son écran. Léa, ma petite-fille de six mois, gigote dans sa chaise haute, la bouche pleine de purée. Julien, mon fils, détourne le regard, mal à l’aise.

Je me souviens encore du jour où Julien nous a présenté Camille. Elle avait 23 ans, un sourire timide et les doigts toujours occupés à faire défiler des stories Instagram. Ce soir-là, elle avait passé plus de temps à prendre des selfies dans notre salon qu’à discuter avec nous. J’avais jeté un regard inquiet à mon mari, Philippe, qui m’avait simplement serré la main sous la table. « Laisse-le vivre sa vie », avait-il murmuré plus tard. Mais comment fermer les yeux quand on voit son fils s’engager avec une jeune femme qui semble encore une enfant ?

Les mois ont passé. Julien et Camille se sont installés dans un petit appartement à Nantes. Camille a arrêté ses études de droit « pour réfléchir », disait-elle. Julien travaillait dur comme infirmier de nuit. Puis Léa est arrivée, un bébé surprise qui a bouleversé leur quotidien. J’espérais que la maternité transformerait Camille, qu’elle prendrait enfin conscience de ses responsabilités. Mais rien n’a changé.

Chaque fois que je viens leur rendre visite, je retrouve Camille sur le canapé, téléphone à la main, Léa dormant dans son transat devant la télévision. La vaisselle s’entasse dans l’évier, le linge propre traîne sur le canapé. Parfois, je me demande si elle réalise vraiment qu’elle est mère.

Un dimanche après-midi, alors que je plie le linge dans leur salon, Camille entre en trombe :
— Tu n’as pas vu mon chargeur ?
— Non… Mais tu pourrais peut-être aider un peu au lieu de chercher ton téléphone tout le temps ?
Elle me lance un regard noir.
— Je fais ce que je peux ! Tu crois que c’est facile d’être maman ?
Je soupire. Je voudrais lui dire que non, ce n’est pas facile. Que moi aussi j’ai connu les nuits blanches, les pleurs incompréhensibles, la fatigue qui colle à la peau. Mais je n’ai jamais eu le luxe de m’évader sur les réseaux sociaux pendant que mon enfant pleurait.

Julien rentre du travail ce soir-là. Il embrasse Camille distraitement et s’assied près de moi.
— Maman, tu peux arrêter de la juger ? Elle fait de son mieux.
Je sens les larmes monter. Je ne veux pas être cette belle-mère intrusive qui critique tout. Mais comment rester silencieuse quand je vois Léa négligée ?

Quelques jours plus tard, je décide d’inviter Camille à déjeuner chez moi. Juste elle et moi. Autour d’un café brûlant et d’une tarte aux pommes, j’essaie d’engager la conversation.
— Camille… Tu sais, être mère, c’est plus que nourrir et changer un bébé. C’est aussi lui montrer l’exemple.
Elle fronce les sourcils.
— Tu veux dire quoi ? Que je suis une mauvaise mère ?
— Non… Mais parfois, j’ai l’impression que tu n’as pas encore réalisé tout ce que cela implique.
Elle se lève brusquement.
— Je savais que tu ne m’aimais pas !
Je reste là, désemparée. Comment lui faire comprendre que ce n’est pas une question d’amour mais de responsabilité ?

Les semaines passent et la tension s’installe dans la famille. Julien prend de plus en plus la défense de Camille. Philippe me reproche d’être trop dure. Même ma fille aînée, Sophie, me dit :
— Maman, tu ne peux pas forcer Camille à changer. Elle doit grandir par elle-même.
Mais si personne ne lui dit rien, comment saura-t-elle ?

Un soir d’hiver, alors que je garde Léa pour permettre à Julien et Camille de sortir dîner ensemble, je découvre par hasard des messages sur le téléphone de Camille laissé sur la table : « Je me sens nulle comme maman… J’ai peur de tout rater… » Mon cœur se serre. Derrière son indifférence apparente se cache une jeune femme perdue et terrifiée.

Quand ils rentrent, je prends Camille à part.
— Tu sais… Moi aussi j’ai eu peur d’être une mauvaise mère. On fait toutes des erreurs. Mais il faut accepter d’apprendre et parfois demander de l’aide.
Pour la première fois depuis longtemps, elle me regarde vraiment.
— Tu crois que j’y arriverai ?
— Oui… mais il faut que tu acceptes de grandir avec Léa.

Depuis cette nuit-là, quelque chose a changé entre nous. Camille fait des efforts : elle joue plus avec Léa, cuisine parfois avec moi le dimanche. Elle rechute souvent dans ses vieilles habitudes mais elle essaie. Et moi, j’apprends à lâcher prise.

Parfois je me demande : ai-je eu raison d’insister ? Ou aurais-je dû laisser le temps faire son œuvre ? Est-ce qu’on peut vraiment apprendre à devenir adulte quand on a soi-même manqué de repères ? Qu’en pensez-vous ?