Ma famille, ces profiteurs : Avec Martin, nous leur avons donné une leçon qu’ils n’oublieront jamais
— Claire, tu pourrais nous préparer un autre plateau de fromages ? Et n’oublie pas le vin, s’il te plaît !
La voix de ma sœur Élodie résonne dans la cuisine. Je serre les dents. Il est 22h30, un jeudi soir, et cela fait déjà trois heures que ma famille s’est installée dans notre salon, riant, mangeant, profitant du sauna flambant neuf que Martin et moi venons d’installer. Je me sens épuisée, vidée, mais je souris. Toujours.
Depuis l’achat de ce sauna — un rêve que Martin et moi avions caressé pendant des années — notre maison à Lyon est devenue le point de ralliement de toute la famille. Mes parents débarquent sans prévenir, mes frères et sœurs viennent avec conjoints et enfants, parfois même des amis. Au début, j’étais heureuse de partager ce bonheur. Mais très vite, la situation a dégénéré.
— Claire, tu peux me passer une autre serviette ?
C’est mon frère Julien cette fois. Il sort du sauna en peignoir, trempé de sueur, l’air ravi. Je lui tends la serviette en silence. Martin me lance un regard inquiet depuis le couloir. Il sait que je suis à bout.
Le lendemain matin, je retrouve la cuisine sens dessus dessous : miettes sur la table, verres sales partout, restes de charcuterie oubliés sur le plan de travail. Je soupire. Je nettoie tout avant de partir travailler à la médiathèque municipale. Toute la journée, je rumine.
Le soir venu, Martin m’attend sur le canapé.
— Claire, il faut qu’on parle. On ne peut plus continuer comme ça.
Je m’effondre en larmes.
— Je sais… Mais comment leur dire ? Ils vont mal le prendre…
Martin me prend la main.
— On doit poser des limites. Ce n’est pas normal qu’ils débarquent tout le temps sans prévenir, qu’ils profitent de nous comme ça.
Je hoche la tête. Mais au fond de moi, j’ai peur : peur de décevoir ma famille, peur d’être jugée égoïste. Depuis toujours, j’ai été celle sur qui tout le monde compte. Celle qui arrange, qui accueille, qui console.
Le week-end suivant, c’est l’apothéose : mes parents arrivent avec un gâteau, Élodie a invité deux amies à elle (« Elles adorent les saunas ! »), Julien a ramené ses enfants qui courent partout en criant. La maison est pleine à craquer.
À minuit passé, alors que je débarrasse seule la table pendant que les autres rient dans le jardin, Martin me rejoint.
— Ça suffit ! Ce soir on dit stop.
Il se dirige vers la terrasse et tape dans ses mains pour attirer l’attention.
— Excusez-moi tout le monde !
Le silence se fait. Tous les regards se tournent vers lui.
— Claire et moi avons quelque chose à vous dire.
Mon cœur bat la chamade. Je sens mes mains trembler.
— Nous sommes heureux de vous recevoir… mais ces derniers temps, cela devient trop. Nous avons besoin d’intimité, de calme. À partir de maintenant, nous vous demandons de prévenir avant de venir et de limiter les visites au week-end uniquement. Et…
Martin me regarde pour m’encourager à continuer.
— …et nous aimerions que chacun participe aux courses et au ménage quand il vient profiter du sauna ou du jardin.
Un silence glacial s’installe. Ma mère fronce les sourcils.
— Claire… tu ne vas pas nous faire ça ? On est ta famille !
Je sens les larmes monter mais je tiens bon.
— Justement parce que je vous aime… J’ai besoin qu’on me respecte aussi.
Élodie se lève brusquement.
— Si c’est comme ça, on ne viendra plus !
Julien hausse les épaules et marmonne :
— Franchement, c’est pas cool…
Ils partent tous rapidement ce soir-là, sans un mot de plus. La maison est soudain silencieuse. Je m’effondre dans les bras de Martin en sanglotant.
Les jours suivants sont difficiles : pas d’appels, pas de messages. Le vide est pesant mais aussi apaisant. Pour la première fois depuis des mois, je peux profiter du sauna avec Martin en toute tranquillité. Nous parlons longuement de ce que nous venons de traverser.
Une semaine plus tard, ma mère m’appelle enfin.
— Claire… Je suis désolée si on a abusé. On ne s’en rendait pas compte. Tu as eu raison de dire stop.
Je pleure à nouveau — mais cette fois de soulagement. Peu à peu, les liens se renouent. Ma famille revient, mais différemment : ils préviennent avant de venir, apportent quelque chose à partager, aident à ranger. Le respect s’installe là où il n’y avait que des habitudes prises pour acquises.
Aujourd’hui encore, je repense à cette soirée où j’ai osé dire non pour la première fois. Ai-je eu tort d’imposer mes limites ? Ou bien est-ce cela aussi, aimer sa famille : savoir dire stop pour mieux se retrouver ? Qu’en pensez-vous ?