Je suis tombée amoureuse de mon thérapeute : l’histoire d’un cœur égaré
— Ça ne sert plus à rien, murmura Paul en se levant brusquement du fauteuil. Sa voix était calme, mais ses mains tremblaient. — Je ne fais que m’énerver ici.
Nous étions en plein milieu de notre quatrième séance de thérapie conjugale. Je serrais un mouchoir humide dans ma main, le regard embué, tandis qu’en face de moi, Étienne — notre thérapeute — gardait ce calme olympien qui me fascinait tant. Paul attrapa sa veste, évita mon regard et sortit sans un mot de plus. Le claquement sec de la porte résonna dans la petite pièce, comme un point final brutal à quinze ans de vie commune.
Je restai là, hébétée. Étienne me regarda longuement, ses yeux d’un bleu pâle emplis de compassion. Il attendit que je parle, mais aucun son ne sortit de ma bouche. J’avais envie de hurler, de courir après Paul, mais mes jambes refusaient de bouger.
— Voulez-vous rester un moment ? demanda-t-il doucement.
J’hochai la tête sans réfléchir. Je savais déjà que je ne voulais pas rentrer chez moi, pas tout de suite. La maison serait vide, froide, pleine des souvenirs d’un bonheur qui s’était effrité lentement, insidieusement. Je m’effondrai sur le canapé, incapable de retenir mes larmes.
— Je ne comprends pas… Comment on en est arrivés là ?
Étienne s’assit en face de moi, gardant une distance professionnelle mais bienveillante. Il ne disait rien, me laissant le temps d’apprivoiser ma douleur. Dans le silence, je sentais son regard sur moi, une présence rassurante au milieu du chaos.
Les semaines suivantes furent un tourbillon. Paul ne rentra plus à la maison. Il m’envoya un message laconique : « J’ai besoin de temps. » Je me retrouvai seule avec nos deux enfants, Camille et Lucas, à jongler entre l’école, les devoirs et les repas surgelés. Ma mère m’appelait tous les soirs :
— Tu dois te battre pour ta famille, Claire ! Tu ne peux pas tout laisser tomber comme ça.
Mais je n’avais plus la force. J’avais l’impression d’être un fantôme dans ma propre vie.
Je continuai à voir Étienne en thérapie individuelle. Au début, je venais pour comprendre ce qui avait dérapé dans mon couple. Mais très vite, nos échanges prirent une autre tournure. Je me surprenais à attendre nos rendez-vous avec impatience, à choisir soigneusement mes vêtements avant chaque séance. Je guettais le moindre sourire, la moindre attention.
Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres du cabinet, je craquai.
— Je crois que je suis en train de tomber amoureuse de vous…
Le silence tomba brutalement dans la pièce. Étienne détourna les yeux, visiblement troublé.
— Claire… Vous savez que je ne peux pas répondre à ça. Mon rôle est de vous accompagner, pas de franchir cette limite.
J’aurais voulu disparaître sous terre. La honte me brûlait les joues. Mais au fond de moi, un espoir fou s’était allumé : et si c’était lui, la réponse à mon malheur ?
Les jours suivants furent un supplice. J’évitais ses appels, prétextant des rendez-vous chez le médecin ou des réunions à l’école. Mais il finit par m’envoyer un message :
« Je comprends votre trouble. Mais il faut qu’on en parle. »
Je retournai au cabinet, le cœur battant la chamade. Il m’attendait avec cette même douceur qui me bouleversait tant.
— Claire, ce que vous ressentez est humain. Vous traversez une période difficile ; il est normal de chercher du réconfort là où vous en trouvez… Mais je ne peux pas être celui-là.
Je me mis à pleurer sans retenue.
— Je n’ai plus rien… Paul est parti, mes enfants me regardent comme si j’étais une étrangère… Et vous êtes le seul à qui j’arrive encore à parler.
Il posa une main sur mon épaule — geste rare chez lui — et me regarda droit dans les yeux.
— Vous n’êtes pas seule. Mais il faut que vous appreniez à vous aimer vous-même avant d’aimer quelqu’un d’autre.
Cette phrase résonna en moi comme une gifle et une caresse à la fois.
Les mois passèrent. J’appris à reconstruire ma vie sans Paul, à retrouver une forme d’équilibre avec mes enfants. Ma mère finit par comprendre que je ne voulais plus me battre pour un mariage déjà mort depuis longtemps.
Un soir d’hiver, alors que je rentrais du travail, Camille vint s’asseoir près de moi sur le canapé.
— Tu vas mieux, maman ?
Je la serrai contre moi en souriant tristement.
— Oui, ma chérie… Je crois que oui.
Je continuai à voir Étienne en thérapie pendant encore quelques mois. Nos échanges restèrent professionnels mais empreints d’une profonde tendresse. J’appris à distinguer le besoin d’amour du besoin d’être comprise.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de repenser à cette période comme à une tempête qui a tout emporté sur son passage… mais qui m’a permis de renaître autrement.
Parfois je me demande : combien d’entre nous confondent le besoin d’être écouté avec l’amour ? Et surtout… combien osent vraiment se choisir eux-mêmes ?