La lettre sur la table : une nuit qui a tout changé
« Tu comprendras un jour. »
C’est la première phrase que j’ai lue, debout dans la cuisine, la porte encore entrouverte derrière moi. Le papier tremblait dans mes mains moites. J’ai reconnu l’écriture de Paul, nerveuse, penchée, comme s’il avait écrit en courant. La tasse de café à moitié vide à côté de la lettre semblait encore tiède. Mon cœur battait si fort que j’entendais à peine le tic-tac de l’horloge.
« Je suis désolé, Claire. Je n’ai pas eu le courage de te le dire en face. »
J’ai relu ces mots au moins dix fois, espérant y trouver une autre signification. Mais non. C’était bien un adieu. J’ai senti mes jambes fléchir, je me suis assise lourdement sur la chaise, là où il s’était sûrement trouvé quelques minutes plus tôt.
Tout s’est bousculé dans ma tête : nos disputes récentes, ses absences de plus en plus longues, son regard fuyant. Je n’avais rien vu venir. Ou plutôt, je n’avais rien voulu voir. Je me suis revue, il y a deux semaines, lui demander :
— Paul, tu es distant en ce moment. Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Il avait haussé les épaules, évité mon regard.
— Je suis juste fatigué du boulot, Claire. Arrête de t’inquiéter pour rien.
Mais ce soir-là, ce n’était pas le travail qui l’avait éloigné. C’était moi. Ou peut-être nous deux.
Je me suis levée d’un bond, la lettre serrée contre ma poitrine, et j’ai couru dans le salon. Tout était à sa place : le plaid sur le canapé, les jouets de Lucie sous la table basse, la photo de notre mariage sur la cheminée. J’ai eu envie de hurler. Comment pouvait-il partir sans un mot de plus ? Sans m’expliquer ?
J’ai attrapé mon téléphone et composé son numéro. Messagerie directe. J’ai laissé un message, la voix brisée :
— Paul… Rappelle-moi. Je t’en supplie.
Lucie est descendue de sa chambre, frottant ses yeux encore pleins de sommeil.
— Maman ? Pourquoi tu pleures ?
Je me suis forcée à sourire, à ravaler mes larmes.
— Ce n’est rien ma chérie, retourne te coucher.
Mais elle s’est accrochée à moi, sentant que quelque chose clochait.
La nuit a été interminable. J’ai relu la lettre cent fois. « Tu comprendras un jour… » Mais comprendre quoi ? Qu’il m’abandonnait ? Qu’il abandonnait Lucie ?
Au petit matin, j’ai appelé sa sœur, Hélène.
— Il est chez toi ?
Sa voix était sèche.
— Non Claire. Il m’a juste envoyé un SMS hier soir. Il disait qu’il avait besoin de temps… Tu sais quelque chose ?
J’ai senti la colère monter en moi.
— Non ! Je ne sais rien justement ! Il est parti sans rien dire !
Hélène a soupiré longuement.
— Tu sais… Paul n’allait pas bien ces derniers temps. Il m’en a parlé un peu… Il se sentait perdu.
Perdu ? Mais pourquoi ne m’en avait-il jamais parlé ? Nous étions censés tout partager…
Les jours suivants ont été un calvaire. Les voisins chuchotaient dans l’escalier de notre immeuble à Nantes :
— Tu as vu ? Paul n’est plus là… Pauvre Claire…
Ma mère est venue s’installer quelques jours pour m’aider avec Lucie. Elle n’a pas pu s’empêcher de juger :
— Tu aurais dû voir les signes, Claire. Un homme ne part pas comme ça sans raison.
J’ai explosé :
— Tu crois que je n’ai rien vu ? Tu crois que je n’ai pas essayé ?
Elle s’est tue, gênée.
Le soir, seule dans notre chambre vide, je me suis mise à fouiller dans ses affaires. J’espérais trouver une explication : un journal intime, un indice… Mais il avait tout emporté sauf quelques chemises et ses livres préférés. Sur sa table de nuit, j’ai trouvé une photo de nous trois à la plage de Pornic l’été dernier. Nous souriions tous les trois, insouciants.
J’ai éclaté en sanglots.
Une semaine plus tard, Paul m’a enfin appelée.
— Claire… Je suis désolé. Je ne pouvais plus continuer comme ça.
— Mais pourquoi ? Dis-moi au moins pourquoi !
Il a hésité longtemps avant de répondre :
— Je ne me reconnaissais plus dans cette vie… J’étouffais. J’ai besoin de me retrouver.
J’ai senti toute ma colère remonter.
— Et Lucie ? Tu y as pensé à Lucie ?
Il a pleuré lui aussi.
— Je viendrai la voir… Mais je ne peux pas revenir pour l’instant.
J’ai raccroché sans un mot de plus.
Depuis ce jour-là, tout a changé. J’ai dû apprendre à vivre sans lui, à expliquer à Lucie que son père l’aimait mais qu’il ne vivrait plus avec nous. Les gens ont continué à parler, à juger. Certains amis ont pris ses nouvelles en cachette ; d’autres ont disparu du jour au lendemain.
J’ai traversé des moments de rage et de tristesse profonde. J’ai douté de moi-même, de notre histoire. Ai-je été trop exigeante ? Trop absente ? Ou bien était-ce lui qui fuyait ses propres démons ?
Aujourd’hui encore, je relis parfois cette lettre froissée que je garde dans mon tiroir. Je me demande si un jour je comprendrai vraiment ce qui s’est passé ce soir-là.
Et vous… Peut-on vraiment tourner la page quand on n’a pas eu toutes les réponses ? Est-ce que le silence fait plus mal que la vérité ?