« Donne l’appartement à ton frère, voyons, vous êtes de la même famille ! » – Le choix qui a brisé mon cœur et ma famille

« Camille, tu ne peux pas être aussi égoïste ! » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un peu de chaleur dans ce matin glacial de novembre. Mon père, assis en face de moi, évite mon regard. Seul le tic-tac de l’horloge trouble le silence pesant.

Mon frère, Julien, est là aussi. Il ne dit rien, mais ses yeux rouges trahissent une nuit blanche. Il a perdu son travail il y a deux mois, sa copine l’a quitté, et il vit depuis chez nos parents, dans sa chambre d’ado. Moi, j’ai trente-deux ans, un CDI dans une petite maison d’édition à Lyon, et surtout… mon appartement. Mon premier vrai chez-moi, acheté après des années de sacrifices, de petits boulots, de soirées à compter les centimes.

« Camille, tu sais bien que Julien n’a nulle part où aller… » reprend ma mère, la voix tremblante. « Tu pourrais lui prêter ton appartement quelques mois, le temps qu’il se remette sur pied. »

Je ferme les yeux. Je revois toutes ces années où j’ai économisé chaque euro, refusé des sorties, travaillé les week-ends. Cet appartement, c’est mon refuge, mon indépendance. Mais dans cette cuisine, je me sens coupable d’exister.

« Et moi ? » Ma voix est faible. « Qui pense à moi ? »

Mon père soupire. « Tu es forte, Camille. Tu t’en sortiras toujours. Ton frère a besoin d’aide. »

Julien relève la tête. Il me regarde avec une détresse qui me transperce le cœur. « Je te jure que c’est temporaire… Je vais trouver du boulot… Je te rembourserai le loyer… »

Je voudrais hurler que ce n’est pas qu’une question d’argent. C’est une question de respect, de reconnaissance pour tout ce que j’ai accompli seule. Mais les mots restent coincés dans ma gorge.

Le soir même, je rentre chez moi. Je m’assois sur le parquet du salon, dos contre le mur, et je pleure comme une enfant. Les souvenirs affluent : les cartons du déménagement portés seule dans l’escalier étroit ; la première nuit passée ici, sur un matelas gonflable ; la peinture sur les murs faite avec des amis ; les rires, les soirées à refaire le monde… Tout cela pourrait disparaître parce que ma famille pense que je dois tout sacrifier pour Julien.

Les jours passent et la pression monte. Ma mère m’appelle chaque soir : « Tu as réfléchi ? Tu ne vas pas laisser ton frère dehors quand même ! » Mon père envoie des SMS laconiques : « Julien compte sur toi. » Même ma tante Sylvie s’en mêle : « Dans notre famille, on s’entraide ! »

Au travail, je n’arrive plus à me concentrer. Ma collègue Sophie remarque mes cernes. « Ça va, Camille ? » Je souris faiblement : « Juste des soucis de famille… »

Un dimanche midi chez mes parents, la tension explose enfin.

« Camille refuse de m’aider ! » crie Julien devant toute la famille réunie autour du poulet rôti.

Je me lève brusquement. « Ce n’est pas vrai ! J’ai toujours été là pour toi ! Mais là… c’est trop ! Cet appartement, c’est tout ce que j’ai ! Pourquoi est-ce toujours à moi de tout donner ? »

Ma mère éclate en sanglots : « On t’a élevée pour être généreuse… Tu n’as pas de famille à toi, pas d’enfants… Tu pourrais bien faire ça pour ton frère ! »

Je sens la colère monter. « Parce que je suis célibataire et sans enfants, je dois tout sacrifier ? Et si c’était moi qui avais besoin d’aide ? Est-ce que quelqu’un penserait à moi ? »

Un silence glacial s’abat sur la table.

Les semaines suivantes sont un enfer. Je culpabilise chaque fois que je rentre chez moi. J’évite les appels de ma mère. Julien ne me parle plus.

Un soir d’hiver, alors que je rentre du travail sous la pluie battante, je trouve Julien assis devant ma porte, une valise à ses pieds.

« Je n’ai vraiment nulle part où aller… » murmure-t-il.

Je le fais entrer. Il s’installe sur le canapé. Les jours passent ; il ne cherche pas vraiment de travail, passe ses journées devant la télé ou à sortir avec des amis. Mon appartement n’est plus mon refuge mais une prison.

Un soir, je craque.

« Julien, tu dois partir. Je t’aime mais je ne peux plus vivre comme ça. J’étouffe ! »

Il me regarde avec un mélange de colère et de tristesse : « Tu penses qu’à toi ! »

Je claque la porte de ma chambre et m’effondre en larmes.

Finalement, après trois mois d’enfer, Julien trouve une colocation grâce à un ami. Il part sans un mot.

Ma mère ne me parle plus depuis des semaines ; mon père m’envoie des messages froids. Je me retrouve seule dans mon appartement vide – mais libre.

Parfois je me demande : ai-je eu raison ? Est-ce égoïste de vouloir protéger ce qu’on a construit ? Ou bien est-ce simplement humain ?

Et vous… jusqu’où iriez-vous pour votre famille ?