J’ai tout sacrifié pour mes enfants, mais ils m’ont fermé la porte au nez
« Tu ne comprends rien à notre vie, maman ! » criait Camille, ma fille aînée, dans l’entrée de la maison que j’avais achetée pour eux. Je me tenais là, valise à la main, le cœur battant si fort que j’en avais mal à la poitrine. Je venais de parcourir près de mille kilomètres depuis Marseille, où j’avais passé vingt ans à travailler jour et nuit comme aide-soignante, pour leur offrir ce toit. Et voilà que je me retrouvais devant cette porte, incapable d’entrer chez moi.
Tout a commencé il y a plus de vingt ans. Mon mari, Jean-Luc, venait de nous quitter, emporté par un cancer fulgurant. J’étais seule à Lille avec deux enfants en bas âge et des dettes jusqu’au cou. J’ai accepté un poste à Marseille, pensant que ce serait temporaire. Mais les années ont filé. Je rentrais pour les fêtes, envoyais de l’argent chaque mois, payais leurs études, leurs vêtements, leurs vacances. Je me disais : « Un jour, tout cela sera derrière nous. Un jour, je rentrerai et nous serons enfin réunis. »
Mais la vie n’attend pas. Camille et Lucas ont grandi sans moi. Ma mère s’occupait d’eux, puis ils sont devenus autonomes. Je les appelais tous les soirs, mais au fil du temps, nos conversations se sont réduites à des banalités : « Ça va ? Tu as mangé ? »
L’année dernière, j’ai enfin pu acheter une maison à Lille. Une jolie maison en briques rouges, avec un jardin où je rêvais de voir mes petits-enfants jouer. J’ai tout organisé depuis Marseille : le notaire, les travaux, même la décoration. J’ai envoyé les clés à Camille et Lucas pour qu’ils puissent s’y installer avant mon retour.
Le jour où je suis arrivée, j’ai trouvé la porte fermée. Camille m’a ouvert avec un regard froid que je ne lui connaissais pas. Lucas n’était même pas là. « On pensait que tu resterais à Marseille », m’a-t-elle dit sèchement. J’ai senti la colère monter en moi : « C’est moi qui ai acheté cette maison ! C’est chez moi ici ! »
Camille a éclaté : « Chez toi ? Tu n’as jamais été là ! Tu crois qu’on a besoin de ton argent ? Ce qu’on voulait, c’était toi ! »
Je suis restée figée sur le seuil. Les mots me manquaient. J’ai voulu lui expliquer que je n’avais pas eu le choix, que c’était pour eux… Mais elle a claqué la porte.
Je suis restée dehors sous la pluie, ma valise trempée à mes pieds. J’ai appelé Lucas. Il m’a répondu d’une voix lasse : « Maman, on a appris à vivre sans toi. On ne sait plus comment te parler… »
J’ai passé la nuit dans un hôtel miteux du centre-ville. Je regardais les photos de mes enfants sur mon téléphone : leurs anniversaires sans moi, leurs diplômes sans moi… Je me suis demandé où j’avais échoué.
Les jours suivants, j’ai tenté de reprendre contact. J’ai laissé des messages, envoyé des lettres. Ma mère m’a dit : « Ils t’en veulent d’être partie si longtemps… Ils ne comprennent pas tes sacrifices. »
J’ai croisé Camille par hasard au marché de Wazemmes. Elle m’a évitée du regard. J’ai couru après elle : « Camille ! Attends ! » Elle s’est arrêtée, les larmes aux yeux : « Pourquoi tu n’es jamais revenue ? Pourquoi tu as préféré ton travail à nous ? »
Je n’ai pas su quoi répondre. Comment expliquer que chaque nuit passée loin d’eux était une torture ? Que chaque euro gagné était une preuve d’amour ?
Un soir, j’ai reçu un message de Lucas : « On ne sait pas comment te pardonner… Peut-être qu’on a besoin de temps. »
Je vis aujourd’hui dans un petit studio à Lille. La maison que j’ai achetée résonne sans moi. Parfois je passe devant et j’aperçois Camille dans le jardin avec ses enfants. Je n’ose pas entrer.
Je me demande souvent : ai-je fait le bon choix ? Peut-on vraiment rattraper le temps perdu ? Est-ce que l’amour d’une mère se mesure aux sacrifices ou à la présence ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?