Sans foyer, sans racines : L’histoire de Baptiste, enfant abandonné à l’hôpital de Lyon
« Non, je ne veux pas y aller ! » Ma voix résonne dans le couloir stérile de l’hôpital Édouard-Herriot, à Lyon. J’ai cinq ans, et la main de l’assistante sociale serre la mienne trop fort. Je me débats, je pleure, mais personne ne m’écoute. Ma mère n’est plus là. Elle est partie sans un mot, sans un regard en arrière. On m’a dit qu’elle était « fatiguée », qu’elle ne pouvait plus s’occuper de moi. Mais ce que j’ai compris, c’est que je n’étais pas assez pour qu’on m’aime.
Les années suivantes défilent comme un mauvais rêve. Le foyer d’accueil sent la soupe tiède et la lessive bon marché. Les éducateurs changent tout le temps. Les autres enfants sont comme moi : cabossés, méfiants, parfois violents. Je m’appelle Baptiste, mais ici, on m’appelle « le muet » parce que je parle peu. À quoi bon raconter sa vie quand personne ne veut vraiment l’entendre ?
Un jour, on me dit que j’irai vivre chez une famille d’accueil. Les Lefèvre habitent dans une petite maison à Villeurbanne. Au début, je crois à une nouvelle chance. Madame Lefèvre me sourit beaucoup, mais son mari me regarde comme un meuble de plus dans le salon. Leur fils, Julien, a mon âge. Il me jauge du regard, puis décide que je suis son souffre-douleur. À l’école primaire Anatole France, il raconte à tout le monde que je suis « le bâtard trouvé dans une poubelle ». Les autres rient. Je serre les poings. Je voudrais disparaître.
Un soir d’hiver, alors que la neige tombe sur les toits de la ville, j’entends une dispute dans la cuisine.
— On ne peut pas continuer comme ça ! s’exclame Monsieur Lefèvre.
— Il a besoin de temps… répond sa femme.
— Ce n’est pas notre fils ! Il n’est pas comme nous.
Je retiens mon souffle derrière la porte. Je comprends que je ne serai jamais vraiment chez moi ici non plus.
Les années passent. Je grandis avec cette sensation d’être un intrus partout où je vais. À l’adolescence, je deviens invisible. Je traîne dans les rues du centre-ville après les cours, je regarde les familles heureuses à travers les vitrines des cafés. Parfois, je m’arrête devant la cathédrale Saint-Jean et je prie pour qu’un jour quelqu’un vienne me chercher.
À dix-sept ans, je découvre par hasard mon dossier social dans le bureau d’une éducatrice distraite. Je lis le nom de ma mère biologique : Claire Dubois. Une adresse à Vaulx-en-Velin, une date de naissance. Mon cœur bat la chamade. Je décide de partir à sa recherche.
Je frappe à la porte d’un immeuble gris. Une femme ouvre, les cheveux tirés en arrière, le regard fatigué.
— Oui ?
— Bonjour… Je… Je m’appelle Baptiste. Je crois que vous êtes ma mère.
Elle pâlit. Un silence lourd s’installe.
— Tu ne devrais pas être là.
Elle referme la porte doucement, sans un mot de plus.
Je reste planté là, glacé par le vent et par son indifférence. J’ai cru que retrouver mes racines me donnerait des réponses, mais je me sens plus perdu que jamais.
Après le bac, je pars à Paris pour mes études. J’essaie de tout recommencer à zéro. Mais même là-bas, l’ombre de mon passé me poursuit. J’ai du mal à faire confiance aux autres, à croire qu’on puisse m’aimer sans condition.
Un soir, lors d’un dîner entre amis, la conversation dérive sur la famille.
— Tu ne parles jamais de tes parents, Baptiste…
Je souris tristement.
— Parce que je n’en ai pas vraiment.
Le silence s’installe autour de la table. Quelqu’un change de sujet. Je me sens encore une fois à part.
Aujourd’hui, j’ai trente ans. Je travaille comme éducateur spécialisé auprès d’enfants placés en foyer. Parfois, je croise dans leurs regards la même détresse que celle qui m’a habité toute ma vie. J’essaie d’être pour eux ce que personne n’a été pour moi : une présence stable, une oreille attentive.
Mais chaque soir en rentrant chez moi, une question me hante : est-ce qu’on peut vraiment choisir sa famille ? Est-ce que l’amour se mérite ou se reçoit simplement ?
Peut-être que la vraie famille n’est pas celle du sang mais celle qu’on construit jour après jour… Mais alors, pourquoi ai-je encore si mal au cœur quand je pense à celle qui m’a laissé derrière elle ? Est-ce que vous aussi vous avez déjà ressenti ce vide ?