« Je demande le divorce. J’ai posé un ultimatum » : Quand la fille de mon mari a bouleversé notre vie
« Tu ne peux pas me demander ça, Claire. C’est ma fille. »
La voix de Paul tremble à peine, mais je sens la colère sourde qui monte. Je serre la tasse de café entre mes mains, tentant de calmer les battements affolés de mon cœur. Camille est là, dans la pièce d’à côté, ses valises posées en vrac sur le parquet du salon. Elle a vingt ans, les cheveux en bataille, le regard fermé. Elle vient d’annoncer qu’elle ne repartira pas. Pas ce soir, pas demain. Elle s’installe ici, chez nous.
Je n’ai rien vu venir. Nous avions tout prévu pour cet été : la rénovation de notre maison au bord du lac d’Annecy, des soirées tranquilles à deux, des projets de peinture et de jardinage. Paul et moi vivons ensemble depuis six ans. J’ai accepté son passé, ses silences sur son divorce avec Sophie, la mère de Camille. Mais je n’étais pas prête à ce que ce passé débarque ainsi, sans prévenir, et s’impose dans notre quotidien.
« Claire, je t’en supplie… Elle a besoin de moi. Elle ne va pas bien. »
Je lève les yeux vers lui. Je vois la fatigue sur son visage, les cernes qui creusent ses joues. Mais moi aussi, je suis fatiguée. Fatiguée d’être celle qui doit toujours s’adapter, qui doit faire de la place pour les autres. Je n’ai jamais eu d’enfants. J’ai aimé Paul pour sa douceur, sa stabilité, sa façon de me regarder comme si j’étais la seule au monde. Mais aujourd’hui, je me sens invisible.
Camille ne m’adresse pas la parole. Elle traverse la maison comme une ombre, claque les portes, ignore mes tentatives maladroites de conversation.
— Tu veux un thé ?
Elle hausse les épaules sans répondre.
Le soir venu, Paul s’enferme avec elle dans sa chambre pour parler. Je les entends murmurer à travers la cloison. Je me sens exclue de leur monde, étrangère dans ma propre maison.
Les jours passent et rien ne s’arrange. Camille occupe tout l’espace : elle laisse traîner ses affaires partout, monopolise la salle de bain le matin, fait exploser le volume de la musique quand je travaille à distance pour mon cabinet d’architecte à Lyon. Paul prend sa défense à chaque remarque.
— Elle traverse une période difficile…
Mais moi aussi ! Je me sens dépossédée de ma vie, de mon couple. Je n’ose plus rien dire de peur de passer pour la marâtre insensible.
Un soir, alors que je rentre des courses, j’entends Camille crier sur Paul.
— Tu ne comprends rien ! Maman ne veut plus me voir, et toi tu fais comme si tout allait bien !
Paul tente de la calmer, mais elle claque la porte et sort en trombe dans le jardin. Je reste figée dans l’entrée avec mes sacs.
Plus tard, Paul me rejoint dans la cuisine.
— Elle va mal… Elle a arrêté ses études sans nous le dire. Sophie ne veut plus entendre parler d’elle depuis qu’elle a découvert qu’elle fréquentait un garçon plus âgé…
Je soupire.
— Et moi dans tout ça ? Tu penses à moi parfois ?
Il me regarde sans répondre.
La tension monte chaque jour un peu plus. Je dors mal. Je fais des crises d’angoisse en pleine nuit. Un matin, je surprends Camille en train de fouiller dans mes affaires.
— Tu cherches quelque chose ?
Elle me lance un regard noir.
— J’ai besoin d’un chargeur.
— Tu aurais pu demander…
Elle hausse les épaules et sort sans un mot.
Je craque le soir même. J’attends que Paul soit seul dans le salon.
— Il faut qu’on parle.
Il pose son livre et me regarde avec inquiétude.
— Je n’en peux plus, Paul. Je ne peux pas vivre comme ça. J’ai besoin que tu choisisses : soit tu trouves une solution avec Camille — un appartement, une aide extérieure — soit… soit je pars.
Il blêmit.
— Tu ne peux pas me demander ça…
— Je n’ai pas le choix ! Je me sens étrangère ici ! J’ai tout sacrifié pour toi, pour cette maison… Et aujourd’hui je n’existe plus !
Il se lève brusquement.
— C’est ma fille ! Tu veux que je l’abandonne ?
— Non… Mais je refuse de m’effacer encore une fois.
Le silence tombe entre nous comme une chape de plomb. Cette nuit-là, je dors dans la chambre d’amis. J’entends Paul sangloter derrière la porte fermée.
Les jours suivants sont un enfer silencieux. Camille fait comme si je n’existais pas. Paul tente de recoller les morceaux mais je sens qu’il m’en veut d’avoir posé cet ultimatum.
Un matin, je trouve une lettre sur la table du salon. C’est Camille qui écrit à son père : « Papa, je pars quelques jours chez une amie. Je reviendrai quand Claire sera partie ou quand tu auras choisi. »
Paul s’effondre en larmes.
Je reste debout devant la fenêtre, le regard perdu sur le lac qui miroite sous le soleil d’été. Ai-je eu tort d’exiger ma place ? Peut-on aimer quelqu’un sans jamais s’oublier soi-même ?
Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour préserver votre couple ou votre famille recomposée ?