Quand Julien a ramené sa femme : le choc d’une mère française
— Tu ne pouvais pas me prévenir, Julien ? Tu débarques comme ça, avec… elle ?
Ma voix tremble. Je me tiens dans l’entrée, les mains crispées sur mon torchon, le cœur battant à tout rompre. Julien, mon fils, mon petit dernier, celui que j’ai élevé seule depuis la mort de son père, se tient devant moi. Il n’est plus ce garçon timide qui me demandait la permission de sortir le soir. Non. Ce soir, il est un homme, et il n’est pas seul.
À ses côtés, Camille. Je ne l’ai jamais vue. Elle porte un manteau trop grand pour elle, ses cheveux sont encore humides de la pluie parisienne. Elle me sourit timidement, mais je n’arrive pas à lui rendre son sourire. Je sens déjà que quelque chose m’échappe.
Julien pose sa main sur l’épaule de Camille. « Maman… Je te présente ma femme. »
Ma femme. Les mots résonnent dans le couloir comme une gifle. Je cherche le regard de Julien, j’y trouve une détermination nouvelle, presque insolente. Je sens la colère monter en moi, mais aussi une peur sourde : celle de perdre mon fils.
— Tu t’es marié sans nous ? Sans moi ?
Julien baisse les yeux. Camille serre sa main plus fort. Un silence pesant s’installe. Dans la cuisine, la soupe mijote encore, mais l’odeur me donne la nausée.
— On voulait te le dire… Mais on avait peur de ta réaction.
Je ris nerveusement. Peur de ma réaction ? Après tout ce que j’ai sacrifié pour eux ? Je regarde Camille : elle semble si jeune, si fragile. D’où vient-elle ? Que sait-elle de nous ?
— Tu viens d’où, Camille ?
Elle hésite avant de répondre : « De Lille… Je travaille à Paris depuis deux ans. »
Sa voix est douce, mais je n’entends que le vide entre ses mots. Pourquoi Julien ne m’a-t-il rien dit ? Pourquoi ce secret ?
Le repas du soir est un supplice. Ma fille Sophie lance des regards furieux à son frère. Elle aussi se sent trahie. Julien tente de détendre l’atmosphère :
— Camille adore la littérature… Elle lit tout le temps.
Je hoche la tête sans conviction. Je pense à toutes ces années où j’ai rêvé d’un mariage traditionnel pour Julien, d’une grande fête à la mairie du 14ème arrondissement, entourés de la famille et des amis. Et voilà qu’il me vole ce moment.
Après le dîner, je m’enferme dans ma chambre. J’entends Julien et Camille rire doucement dans le salon. Leur bonheur me blesse plus que je ne veux l’admettre. Je repense à mon propre mariage avec François, à la robe blanche que ma mère avait cousue pour moi, à la fierté dans les yeux de mon père.
Le lendemain matin, je trouve Camille seule dans la cuisine. Elle prépare du café.
— Patricia… Je sais que c’est difficile pour vous. Mais j’aime vraiment Julien.
Sa sincérité me désarme un instant. Je sens mes défenses vaciller.
— Tu comprends que c’est brutal pour moi ? J’aurais voulu être là…
Elle hoche la tête : « On a eu peur que vous ne compreniez pas… »
Je soupire. Peut-être ont-ils raison. Peut-être suis-je trop attachée à mes traditions, à mes rêves de mère parfaite.
Les jours passent et la tension ne retombe pas. Sophie refuse d’adresser la parole à Camille. Julien s’énerve :
— Arrêtez ! Ce n’est pas sa faute ! C’est moi qui ai décidé !
Un soir, alors que je range la vaisselle, Julien me rejoint.
— Maman… J’ai besoin que tu acceptes Camille. Sinon… je ne reviendrai plus.
Son ultimatum me glace le sang. Est-ce possible ? Perdre mon fils pour toujours ?
Je repense à toutes ces années où j’ai tout donné pour eux : les nuits blanches, les sacrifices, les petits boulots pour payer leurs études. Et voilà qu’un choix — leur choix — menace de tout détruire.
Je regarde Camille qui rit avec Sophie dans le salon (elles ont finalement trouvé un terrain d’entente autour d’un vieux film français). Peut-être que l’amour ne se commande pas. Peut-être que le bonheur de Julien ne ressemble pas à celui que j’avais imaginé pour lui.
Ce soir-là, je m’assieds près de Camille.
— Bienvenue dans la famille…
Elle me sourit avec reconnaissance et je sens une larme couler sur ma joue.
Mais au fond de moi, une question demeure : pourquoi est-ce si difficile d’accepter que nos enfants vivent leur propre vie ? Est-ce cela, aimer vraiment ?