« Pourquoi ma fille n’a-t-elle pas droit à la mer ? » – Chronique d’une injustice familiale
— Tu comprends, Magali, c’est plus simple comme ça. Il n’y a que Paul qui part avec moi cette année. Camille est encore trop petite pour profiter de la mer, et puis…
La voix de ma mère résonne dans le salon, sèche, presque mécanique. Je serre les poings. Camille, ma fille de huit ans, est assise à côté de moi sur le canapé, les yeux brillants d’espoir. Elle ne sait pas encore que sa grand-mère vient de décider, une fois de plus, qu’elle n’était pas assez bien pour partager les mêmes souvenirs que son cousin.
— Mais maman, Camille adore la mer ! Tu te souviens l’année dernière, comme elle était heureuse de ramasser des coquillages ?
Ma mère soupire, agacée. — Oui, mais Paul est plus autonome. Et puis, tu sais bien que je ne peux pas tout gérer toute seule. D’ailleurs, il faudrait que tu participes aux frais du voyage. L’essence, le péage, la location…
Je sens la colère monter. Ce n’est pas la première fois. Depuis toujours, ma mère a ses favoris. Paul, le fils de mon frère Laurent, a droit à tout : les vacances, les cadeaux, les sorties. Camille et moi, on est les figurantes de cette pièce familiale où les rôles sont distribués à l’avance. Mais cette fois-ci, c’est trop. Comment expliquer à ma fille que sa grand-mère préfère partir sans elle, tout en me réclamant de l’argent pour un voyage dont elle sera exclue ?
Camille me regarde, inquiète. — Maman, je vais pouvoir aller à la mer avec mamie et Paul ?
Je ravale mes larmes. — On va en parler, ma chérie.
Le soir venu, je téléphone à mon frère. — Laurent, tu trouves ça normal que maman emmène Paul à la mer et pas Camille ? Et qu’en plus elle me demande de payer ?
Laurent hésite. — Tu sais comment elle est… Elle dit que Paul a besoin de changer d’air. Et puis, il n’a pas eu une année facile à l’école.
— Et Camille alors ? Elle aussi a eu des difficultés ! Mais ça, maman s’en fiche. Elle ne voit que Paul. Toujours Paul.
Un silence gênant s’installe. Je sens que mon frère ne veut pas se mêler de cette histoire. Comme d’habitude.
Le lendemain matin, je retrouve ma mère dans sa cuisine. L’odeur du café flotte dans l’air, mais l’ambiance est glaciale.
— Maman, il faut qu’on parle. Je ne comprends pas pourquoi tu fais toujours des différences entre tes petits-enfants. Camille souffre de cette situation. Et moi aussi.
Elle lève les yeux au ciel. — Tu exagères, Magali. Je fais ce que je peux. Paul a besoin de moi en ce moment.
— Mais Camille aussi a besoin de toi ! Tu ne vois donc pas qu’elle se sent rejetée ?
Ma mère hausse les épaules. — Tu dramatises. De toute façon, tu sais très bien que je n’ai jamais eu la même relation avec Camille qu’avec Paul. C’est comme ça.
Je reste sans voix. Comment peut-on dire ça à sa propre fille ? Je sens une boule dans ma gorge. J’ai envie de crier, de tout casser. Mais je me retiens. Pour Camille.
Le soir, je retrouve ma fille dans sa chambre. Elle dessine un grand soleil sur une feuille blanche.
— Tu sais, maman, c’est pas grave si je vais pas à la mer avec mamie. On pourra y aller toutes les deux un jour ?
Je la serre fort contre moi. — Bien sûr qu’on ira, ma puce. Et ce sera encore mieux parce qu’on sera ensemble.
Mais la blessure est là. Invisible mais profonde. Je repense à mon enfance. Moi aussi, j’ai grandi dans l’ombre de mon frère. Toujours moins bien, toujours moins aimée. J’avais promis de ne jamais reproduire ce schéma avec mes enfants. Mais comment lutter contre l’injustice quand elle vient de sa propre mère ?
Les jours passent. Ma mère prépare le départ avec Paul. Elle m’envoie un message : « N’oublie pas de faire le virement pour le voyage. »
Je prends une grande inspiration et lui réponds : « Je ne paierai pas pour un voyage dont ma fille est exclue. Si tu veux emmener Paul, c’est ton choix. Mais ne compte plus sur moi pour financer tes préférences. »
Le téléphone sonne aussitôt. — Magali, tu exagères ! Tu vas vraiment priver Paul de vacances ?
— Non, maman. C’est toi qui prives Camille de vacances et qui me demandes de cautionner ça. Je ne peux plus accepter cette injustice.
Elle raccroche sans un mot.
Le soir même, Laurent m’appelle. — Maman est furieuse. Elle dit que tu fais tout pour gâcher l’ambiance familiale.
— L’ambiance familiale ? Elle est déjà pourrie par ses préférences ! Je ne veux plus que Camille grandisse avec ce sentiment d’être moins aimée.
Laurent soupire. — Je comprends… Mais tu sais comment elle est. Elle ne changera jamais.
— Peut-être. Mais moi, je peux changer les choses pour ma fille.
Le lendemain, j’annonce à Camille qu’on partira toutes les deux à la mer cet été. Rien que nous deux. Elle saute de joie et me serre dans ses bras.
Mais au fond de moi, une tristesse tenace persiste. Pourquoi l’amour d’une mère peut-il être si conditionnel ? Pourquoi certains enfants sont-ils toujours les oubliés ?
Je regarde Camille dormir paisiblement et je me demande : Combien d’enfants en France grandissent avec ce sentiment d’injustice dans leur propre famille ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?