Trouver la lumière : Le combat de François face à l’adversité
« Tu comptes rester là toute la journée à regarder le plafond, François ? » La voix de Claire, ma femme, résonne dans le salon, tranchante comme une lame. Je serre les poings sous la couverture, incapable de lui répondre. Depuis que j’ai perdu mon poste à l’usine Renault de Flins, il y a trois mois, chaque matin ressemble à une épreuve. Les factures s’empilent sur la table, les enfants me regardent avec des yeux inquiets, et Claire… Claire n’est plus la même.
Je me lève enfin, titubant vers la cuisine. Paul, mon aîné de seize ans, lève à peine les yeux de son portable. « Papa, tu vas trouver du boulot bientôt ? » Sa voix est pleine d’espoir, mais je sens le doute derrière. Je bredouille un « Oui, bien sûr », sans y croire moi-même.
Le chômage, c’est comme une maladie honteuse. On évite les voisins, on baisse la tête au supermarché. Même à la boulangerie, Madame Lefèvre ne me demande plus comment ça va. Je me sens invisible, inutile. Le soir, quand tout le monde dort, je m’assois dans la pénombre du salon et je prie. Pas comme un bon catholique, non. Je prie parce que je n’ai plus rien d’autre. « Seigneur, donne-moi la force de tenir. »
Un matin, alors que je feuillette les petites annonces, Claire s’assied en face de moi. Ses yeux sont rouges. « François, on ne peut plus continuer comme ça. J’ai parlé à ma mère… Elle propose qu’on vienne habiter chez elle, le temps que tu retrouves du travail. » Je sens la colère monter. « Chez ta mère ? Tu veux qu’on abandonne notre maison ? » Elle baisse la tête. « On n’a plus le choix. »
Les disputes deviennent quotidiennes. Les enfants se réfugient dans leurs chambres. Un soir, Paul claque la porte. « J’en ai marre de vous entendre crier ! » Je me précipite dehors, le cœur battant. Il est assis sur le trottoir, les larmes aux yeux. Je m’accroupis à côté de lui. « Je suis désolé, mon grand. » Il me regarde, plein de reproches. « T’étais mon héros, papa. Maintenant, t’es juste… fatigué. »
Ces mots me transpercent. Je rentre, m’effondre sur le canapé. Je pense à mon père, ouvrier comme moi, qui n’a jamais flanché. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Pourquoi je n’arrive pas à rebondir ?
Un dimanche, je me traîne à la messe du village. L’église est presque vide. Le curé, le père Bernard, parle de Job et de ses épreuves. « Même dans la nuit la plus noire, il faut garder la foi », dit-il. Je sens les larmes monter. Après la messe, il vient vers moi. « François, tu veux parler ? »
On s’assoit dans la sacristie. Je vide mon sac : la honte, la peur, la colère. Il m’écoute sans juger. « Tu n’es pas seul, François. Viens au Secours Catholique demain, on a besoin de bras pour la collecte alimentaire. »
Le lendemain, je me retrouve à trier des boîtes de conserve avec d’autres bénévoles. Parmi eux, il y a Lucie, une mère célibataire, et Gérard, un ancien cadre ruiné par un divorce. On échange nos histoires, nos galères. Pour la première fois depuis des mois, je me sens utile.
Peu à peu, je reprends goût à la vie. Je continue à prier, mais mes prières changent : « Merci pour cette journée. Merci pour ces rencontres. » Claire remarque le changement. Un soir, elle me prend la main. « Tu me manquais, tu sais ? » On pleure ensemble, longtemps.
Un matin, Gérard me propose un petit boulot dans son ancienne boîte : manutentionnaire, rien de glorieux, mais c’est un début. J’accepte sans hésiter. Les enfants sourient à nouveau. Paul me serre dans ses bras. « Je savais que tu y arriverais, papa. »
La vie n’est pas redevenue parfaite. On compte chaque euro, on fait attention à tout. Mais on est ensemble. Et j’ai compris que la vraie force, ce n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever, encore et encore.
Parfois, je repense à ces nuits de désespoir. Je me demande : combien de pères, de mères, traversent la même tempête en silence ? Pourquoi la honte du chômage est-elle si lourde à porter en France ? Est-ce qu’on ose assez demander de l’aide ?
Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce que la foi ou la solidarité vous ont déjà sauvé d’un naufrage ?