La petite fille qui attendait sa mère : Histoire d’un espoir brisé et d’une famille retrouvée

« Camille, prends ton manteau, on doit partir. » La voix de l’assistante sociale résonne encore dans ma tête, sèche, sans chaleur. J’avais huit ans, les bras serrés autour de mon ours en peluche, les yeux rivés sur la porte d’entrée de notre petit appartement à Nanterre. Ma mère n’était pas là. Elle n’était plus là depuis deux jours, mais je refusais de croire qu’elle ne reviendrait pas.

Je me souviens du froid, du silence pesant dans la voiture, des lumières de la ville qui défilaient derrière la vitre embuée. « Où est maman ? » ai-je demandé, la gorge serrée. L’assistante sociale, Madame Lefèvre, a soupiré. « On va s’occuper de toi, Camille. » Mais moi, je ne voulais pas qu’on s’occupe de moi. Je voulais juste ma mère.

Les premiers jours au foyer étaient un cauchemar. Les autres enfants me regardaient avec curiosité ou indifférence. Certains pleuraient la nuit, d’autres criaient. Je restais muette, recroquevillée sur mon lit, attendant le bruit de clés dans la serrure, le pas léger de maman, son parfum de vanille. Mais rien. Juste le tic-tac de l’horloge et les chuchotements des éducateurs.

Un soir, alors que la pluie frappait les vitres, j’ai entendu une dispute dans le couloir. « Ce n’est pas possible, elle ne peut pas rester ici éternellement ! » criait une voix. « On n’a pas de place, et elle ne parle à personne ! » J’ai compris qu’ils parlaient de moi. J’étais un problème à résoudre, un dossier à classer. J’ai serré mon ours plus fort, retenant mes larmes.

Les semaines sont devenues des mois. À chaque visite, j’espérais voir maman franchir la porte, me serrer dans ses bras, me dire que tout allait s’arranger. Mais ce n’était jamais elle. Parfois, une lettre arrivait, écrite à la hâte, des mots flous, des promesses de retour. Mais elle ne venait pas. J’ai commencé à lui en vouloir. Pourquoi m’avait-elle laissée ? Pourquoi ne se battait-elle pas pour moi ?

Un jour, Madame Lefèvre m’a annoncé qu’une famille voulait me rencontrer. « Ils s’appellent les Dubois. Ils vivent à Sceaux, ils ont une fille de ton âge. » J’ai refusé. Je ne voulais pas d’une autre famille. Mais on ne m’a pas laissé le choix.

La première rencontre a été un désastre. Madame Dubois, élégante, sentait la lavande. Monsieur Dubois avait un sourire crispé. Leur fille, Chloé, me regardait comme une bête curieuse. « Tu veux jouer avec moi ? » a-t-elle demandé timidement. J’ai détourné la tête. Je n’avais rien à dire à ces gens.

Pourtant, ils sont revenus. Encore et encore. Ils m’ont invitée chez eux le week-end. Leur maison sentait le gâteau au chocolat et le feu de bois. Chloé m’a prêté ses crayons de couleur. Un soir, alors que je pleurais en silence dans la chambre d’amis, Madame Dubois est venue s’asseoir près de moi. « Tu sais, Camille, tu as le droit d’être triste. Mais tu as aussi le droit d’être heureuse ici, si tu en as envie. »

Peu à peu, j’ai baissé la garde. Chloé m’a appris à faire du vélo sans roulettes. Monsieur Dubois m’a emmenée au cinéma voir un dessin animé. Madame Dubois m’a montré comment préparer des crêpes. Parfois, la douleur revenait, brutale, comme une vague glacée. Mais il y avait aussi des moments de douceur, de rires partagés.

Un soir d’hiver, alors que la neige tombait dehors, j’ai entendu Chloé chuchoter à ses parents : « Vous croyez qu’elle va rester ? » J’ai eu peur. Peur de m’attacher, peur d’être à nouveau abandonnée. Mais ce soir-là, Madame Dubois m’a prise dans ses bras. « On t’aime, Camille. Tu fais partie de notre famille, si tu le veux. »

J’ai pleuré longtemps, dans ses bras. Pour la première fois, j’ai laissé tomber la colère, la tristesse, la peur. J’ai compris que je pouvais aimer à nouveau, même si ce n’était pas ma mère. J’ai écrit une lettre à maman, lui disant que je ne l’oublierais jamais, mais que j’avais trouvé une nouvelle famille.

Des années plus tard, alors que je prépare mon bac, je repense à cette petite fille qui attendait derrière la porte. Je ne sais pas où est ma mère aujourd’hui. Parfois, je rêve qu’elle revient, qu’on se retrouve. Mais je sais aussi que j’ai le droit d’être heureuse, que la vie m’a offert une seconde chance.

Est-ce qu’on peut vraiment guérir de l’abandon ? Peut-on aimer sans avoir peur d’être à nouveau rejeté ? Je n’ai pas toutes les réponses, mais je sais que l’amour, même inattendu, peut réparer bien des blessures. Et vous, qu’en pensez-vous ?