Quand j’ai arrêté de me raser les jambes : Mon combat pour être moi-même

« Tu ne vas pas sortir comme ça, Véronique ? » La voix de ma mère résonne dans le couloir, tranchante, presque blessante. Je baisse les yeux sur mes jambes nues, fièrement couvertes de ce duvet brun que j’ai décidé, il y a trois mois, de ne plus cacher. Mon cœur bat la chamade. Je sens le regard de mon père, silencieux, peser sur moi. Ma sœur, Camille, détourne les yeux, gênée.

« Pourquoi tu fais ça ? Tu veux te faire remarquer ? » ajoute-t-elle, la voix tremblante d’agacement. Je sens la colère monter, mais aussi une tristesse profonde. Ce n’est pas pour provoquer. Ce n’est pas un caprice. C’est juste… moi.

Tout a commencé un matin de mars, devant le miroir de la salle de bain. J’ai regardé mon rasoir, puis mes jambes, et j’ai ressenti une lassitude immense. Pourquoi devrais-je me faire mal, perdre du temps, pour répondre à une exigence qui n’est même pas la mienne ? J’ai pensé à toutes ces années passées à cacher, à gommer, à effacer ce que la nature m’a donné. Et j’ai décidé d’arrêter.

Au début, je n’ai rien dit à personne. J’ai porté des pantalons, des jupes longues. Mais avec le retour des beaux jours, j’ai eu envie de liberté. J’ai enfilé une robe légère et je suis sortie, jambes nues, poils visibles. Dans la rue, les regards se sont posés sur moi, insistants, parfois dégoûtés, parfois moqueurs. Un groupe d’adolescentes a éclaté de rire en me croisant. Un homme d’une cinquantaine d’années a murmuré : « C’est pas possible, les jeunes aujourd’hui… »

Le soir, à table, la tension est montée d’un cran. Mon père a posé sa fourchette. « Tu sais, dans notre famille, les femmes ont toujours été soignées. » Ma mère a ajouté : « Tu te rends compte de ce que les voisins vont penser ? » J’ai senti la honte, la colère, la solitude. Mais aussi une petite flamme de révolte. Pourquoi devrais-je avoir honte de mon corps ? Pourquoi devrais-je me plier à des règles qui ne me ressemblent pas ?

Les jours suivants, les disputes se sont multipliées. Camille m’a dit que je faisais honte à la famille, que je gâchais mes chances de trouver un travail ou un compagnon. Ma mère a pleuré. Mon père a cessé de m’adresser la parole. Même mes amies, pourtant ouvertes d’esprit, m’ont demandé si je n’avais pas « pété un câble ».

Un soir, alors que je rentrais du travail, j’ai croisé mon voisin, Monsieur Lefèvre. Il m’a regardée, puis a souri : « Vous savez, ma femme aussi a arrêté de se raser pendant le confinement. Elle disait que c’était une libération. » J’ai senti une vague de soulagement. Peut-être que je n’étais pas si seule.

Mais le plus dur restait à venir : l’entretien d’embauche pour un poste de bibliothécaire à la médiathèque municipale. J’ai hésité à remettre un pantalon, à cacher ce que j’étais devenue. Mais non. J’ai choisi une jupe, j’ai relevé la tête. La directrice, Madame Dubois, m’a regardée longuement. « Vous savez, ici, on aime les gens qui assument leur différence. » J’ai eu le poste.

Petit à petit, j’ai appris à répondre aux remarques, à ignorer les regards. Mais la douleur restait, surtout à la maison. Un soir, j’ai surpris ma mère en train de parler à ma tante au téléphone : « Je ne comprends pas, elle était si jolie avant… » J’ai eu envie de crier, de tout casser. Mais je me suis contentée de pleurer, seule, dans ma chambre.

Un dimanche, lors d’un déjeuner familial, la tension a explosé. Mon oncle Jean a lancé : « Tu veux militer pour quoi, au juste ? » J’ai pris une grande inspiration. « Je ne milite pas. Je veux juste être moi. Pourquoi est-ce que c’est si difficile à accepter ? » Le silence s’est fait. Ma grand-mère a posé sa main sur la mienne. « Tu sais, à mon époque, on ne se rasait pas non plus. C’est venu après, avec la mode. »

Ce jour-là, j’ai compris que le problème n’était pas mes poils, mais la peur de l’autre, de la différence, du regard des voisins, des collègues, de la famille. J’ai compris que mon combat n’était pas seulement pour moi, mais pour toutes celles qui n’osent pas être elles-mêmes.

Aujourd’hui, je marche dans la rue, la tête haute. Il y a encore des regards, des rires, des remarques. Mais il y a aussi des sourires, des complicités inattendues. J’ai perdu des amis, j’en ai gagné d’autres. Ma famille commence à s’habituer, même si le chemin est long.

Parfois, je doute. Parfois, j’ai envie de tout abandonner, de redevenir « normale ». Mais je me rappelle ce que ça m’a coûté d’être quelqu’un d’autre. Je préfère être jugée pour ce que je suis que d’être aimée pour ce que je ne suis pas.

Et vous, jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour être vraiment vous-mêmes ? Est-ce que la liberté d’être soi vaut toutes ces épreuves ?