Quarante ans plus tard, j’ai revu mon premier amour : une rencontre bouleversante

— Tu es sûre de vouloir y aller, maman ?

La voix de ma fille, Camille, tremble un peu. Je la regarde dans le rétroviseur alors que je me gare devant ce petit café de la rue des Martyrs. Mon cœur bat à tout rompre. Quarante ans. Quarante ans sans voir Paul. Et aujourd’hui, il m’a donné rendez-vous ici, comme si le temps n’avait pas existé.

Je me revois, à dix-sept ans, assise sur le muret du lycée Jean-Moulin à Lyon, les jambes pendantes, le cœur en vrac. Paul, avec ses cheveux en bataille et sa guitare sur l’épaule, s’approche. Il a ce sourire insolent qui me fait tout oublier : les disputes avec mes parents, les notes qui baissent, la peur de l’avenir. Il me glisse un billet plié en quatre dans la main : « Ce soir, sous le pont de la Guillotière. Viens. »

Je n’ai jamais osé lui dire non. Pas à lui. Pas à mon premier amour.

Aujourd’hui, je suis une femme de soixante ans, mariée depuis trente-cinq ans à François, mère de deux enfants et grand-mère d’une petite Louise. Ma vie est rangée, stable, presque trop calme parfois. Mais ce matin, en recevant ce message sur Facebook — « Marie, j’aimerais te revoir. Paul » — tout s’est effondré en moi. J’ai senti la jeune fille que j’étais se réveiller d’un long sommeil.

— Maman ?

Je sors de mes pensées. Camille me serre la main.

— Je t’attends ici. Si tu veux partir, tu m’appelles.

Je hoche la tête et pousse la porte du café. L’odeur du café brûlé et des croissants rassis me frappe. Il est là, assis près de la fenêtre. Il a vieilli, bien sûr : les cheveux gris, les rides autour des yeux. Mais c’est lui. Paul.

— Marie ?

Sa voix est plus grave qu’avant, mais elle me fait frissonner comme autrefois.

— Bonjour Paul.

Il se lève maladroitement et me tend la main. Je sens son hésitation : doit-il m’embrasser sur la joue ? Me serrer dans ses bras ? Finalement, il se contente d’un sourire triste.

Nous nous asseyons. Un silence gênant s’installe.

— Tu… tu vas bien ?

Je ris nerveusement.

— Oui… Enfin, je crois. Et toi ?

Il baisse les yeux.

— J’ai divorcé il y a cinq ans. Mes enfants sont partis loin… Je vis seul maintenant.

Je sens une pointe de tristesse dans sa voix. Je repense à nos rêves d’adolescents : partir ensemble à Paris, vivre de musique et d’amour fou. Mais la vie en a décidé autrement.

— Tu te souviens du bal du lycée ?

Je souris malgré moi.

— Comment oublier ? Tu avais chanté pour moi devant tout le monde…

Il éclate de rire.

— Et tu étais rouge comme une tomate !

Nous rions ensemble. Un instant, le temps semble reculer. Mais très vite, la réalité revient frapper à la porte.

— Pourquoi m’as-tu écrit après tout ce temps ?

Il hésite, joue avec sa tasse.

— J’ai beaucoup pensé à toi ces derniers mois. Je me suis demandé… si tu étais heureuse.

Je sens mes yeux s’embuer. Suis-je heureuse ? J’ai une famille aimante, une maison à la campagne, des souvenirs plein la tête… Mais il y a ce vide que je n’ai jamais su combler : celui de notre histoire inachevée.

— Tu sais… Après notre rupture, j’ai cru que je ne pourrais plus jamais aimer quelqu’un comme je t’aimais.

Il pose sa main sur la mienne. Je retire doucement la mienne.

— Paul… On ne peut pas revenir en arrière.

Il soupire.

— Je sais. Mais parfois… j’aurais voulu avoir une seconde chance avec toi.

Un silence pesant s’installe à nouveau. Je pense à François, à nos enfants, à tout ce que j’ai construit sans Paul. Aurais-je été plus heureuse avec lui ? Ou est-ce simplement la nostalgie qui me joue des tours ?

— Tu as refait ta vie… Moi aussi, d’une certaine façon. Mais il y a des choses qu’on ne peut pas réparer.

Il hoche la tête tristement.

— Je voulais juste te dire que tu as compté pour moi. Que tu comptes encore.

Je sens les larmes monter. Je me lève brusquement.

— Je dois y aller… Ma fille m’attend.

Il se lève aussi, me retient par le bras.

— Marie… Est-ce que tu regrettes ?

Je ferme les yeux un instant. Les souvenirs affluent : nos baisers volés dans les couloirs du lycée, les lettres cachées sous mon oreiller, les disputes avec mes parents qui ne voulaient pas de lui parce qu’il venait « d’un autre monde », les nuits blanches à pleurer son absence après qu’il soit parti pour Paris sans moi…

— Parfois… Oui. Mais sans ces choix-là, je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui.

Il sourit tristement et me laisse partir.

Dehors, Camille m’attend sur le trottoir.

— Alors ?

Je prends une grande inspiration.

— C’est fini… Ou plutôt : c’est vraiment fini maintenant.

Nous marchons en silence jusqu’à la voiture. Dans ma tête résonne cette question lancinante : Peut-on vraiment tourner la page du passé ? Ou bien reste-t-il toujours une part de nous qui appartient à nos premiers amours ?