Ma fille est revenue chez moi avec son fils : Ce n’est pas ainsi que j’imaginais ma seconde jeunesse

— Maman, je n’ai nulle part où aller.

La voix de Camille tremble, ses yeux sont rouges. Elle serre la main de Léo, son fils de cinq ans, qui me regarde sans comprendre. Je reste figée sur le seuil de la porte, mon cœur battant à tout rompre. J’avais rêvé de ce moment où la maison serait enfin silencieuse, où je pourrais écouter le tic-tac de l’horloge sans être interrompue par des cris ou des disputes. Mais ce soir-là, tout s’effondre.

Je m’appelle Françoise. J’ai cinquante ans, et depuis quelques mois, je goûtais à une liberté nouvelle. Mes enfants étaient partis : Paul s’était installé à Lyon, Camille vivait à Bordeaux avec son mari. Je m’étais offert un chien, Gaspard, et j’avais commencé à fréquenter un club de randonnée. Je m’étais même inscrite à un atelier de peinture. J’avais des projets : aller voir la mer en Bretagne, partir en week-end improvisé, inviter des amis à dîner sans avoir à surveiller le four toutes les dix minutes.

Mais ce soir-là, Camille est revenue. Elle a claqué la porte derrière elle, les valises pleines à craquer, Léo endormi dans ses bras. Elle a fondu en larmes dans mon salon, et j’ai compris que tout recommençait.

— Il m’a trompée, maman. Avec une collègue. Je ne pouvais plus rester.

J’ai serré ma fille contre moi, sentant son corps secoué de sanglots. J’ai caressé ses cheveux comme quand elle était petite. Mais au fond de moi, une petite voix murmurait : « Et moi ? Qui pense à moi ? »

Les premiers jours ont été un tourbillon. Léo a ramené ses jouets dans le salon, éparpillé ses petites voitures sous la table basse. Camille passait ses journées au téléphone avec son avocat ou à pleurer dans sa chambre. Je faisais les courses, préparais les repas, lavais le linge. Gaspard aboyait sans cesse, perturbé par ce retour inattendu.

Un soir, alors que je débarrassais la table, Camille est entrée dans la cuisine.

— Tu es fatiguée, maman ?

J’ai haussé les épaules.

— Un peu… Ce n’est pas facile de tout recommencer à mon âge.

Elle a baissé les yeux.

— Je suis désolée de t’imposer ça. Mais je n’avais vraiment personne d’autre.

J’ai voulu la rassurer, lui dire que c’était normal, qu’une mère est toujours là pour ses enfants. Mais j’ai senti une boule dans ma gorge. Je n’avais pas envie d’être forte encore une fois. J’avais envie d’être égoïste, juste pour une fois.

Les semaines ont passé. Camille a trouvé un petit boulot dans une boutique du centre-ville. Je gardais Léo après l’école. Il remplissait la maison de ses rires et de ses caprices. Parfois il me demandait :

— Mamie, pourquoi papa il vient pas ?

Je détournais les yeux, incapable de répondre.

Le soir, quand tout le monde dormait, je m’asseyais sur le balcon avec un verre de vin blanc et je regardais les lumières de la ville. Je repensais à mes rêves : marcher sur la plage au lever du soleil, partir seule en Italie… Tout semblait si loin maintenant.

Un samedi matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, Paul a appelé.

— Tu vas bien maman ?

J’ai hésité avant de répondre.

— Oui… Enfin non. Je suis fatiguée Paul. Je n’arrive plus à penser à moi.

Il y a eu un silence au bout du fil.

— Tu as toujours été là pour nous… Peut-être qu’il est temps que tu penses un peu à toi aussi.

J’ai souri tristement. Facile à dire quand on est loin.

Un soir d’automne, j’ai craqué. J’ai hurlé sur Camille parce qu’elle avait oublié d’acheter du pain. Elle m’a regardée avec des yeux pleins de larmes.

— Tu regrettes que je sois revenue ?

J’ai fondu en larmes à mon tour.

— Non… Mais je suis épuisée Camille ! J’avais besoin de souffler…

Nous sommes restées là, assises sur le carrelage froid de la cuisine, à pleurer comme deux enfants perdues.

Petit à petit, nous avons appris à vivre ensemble autrement. J’ai commencé à dire non parfois : non, je ne peux pas garder Léo ce soir ; non, je ne ferai pas trois lessives par jour ; non, je ne suis pas disponible tout le temps. Camille a compris qu’elle devait aussi prendre soin de moi.

Un dimanche matin, elle m’a offert un carnet de voyage.

— Pour que tu puisses noter tes rêves… Et qu’on trouve un moyen de les réaliser ensemble.

J’ai souri pour la première fois depuis longtemps.

Aujourd’hui encore, il y a des jours où je me sens prisonnière de mon rôle de mère et de grand-mère. Mais il y a aussi des moments où je me dis que cette seconde jeunesse n’est peut-être pas celle que j’attendais… mais qu’elle a aussi sa beauté fragile.

Est-ce qu’on a vraiment le droit de penser à soi quand on est mère ? Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu envie de tout envoyer valser… juste pour respirer un peu ?