Ma petite Camille en robe Chanel : Suis-je vraiment une mauvaise mère ?

— Tu ne trouves pas que tu exagères, Pauline ? Camille n’a que six ans, et tu lui mets déjà une robe Chanel pour aller à l’école du village ?

La voix de ma mère résonne encore dans ma tête alors que je regarde Camille, assise sur le banc de la cuisine, ses petites jambes balançant dans le vide. Elle caresse distraitement le tissu soyeux de sa robe, inconsciente du tumulte qu’elle provoque autour d’elle. Je sens la colère monter en moi, mêlée à une honte sourde. Pourquoi devrais-je avoir honte d’aimer ma fille au point de vouloir lui offrir ce qu’il y a de plus beau ?

Je me souviens du jour où j’ai choisi son prénom : Camille. Un prénom doux, élégant, qui me rappelait les héroïnes de romans français. Je voulais qu’elle ait un nom qui la distingue, qui la protège peut-être aussi. Mais dès la maternité, les regards se sont faits lourds. « Camille ? Ce n’est pas un peu prétentieux pour une fille de notre village ? » avait lancé la voisine de chambre, un sourire en coin.

Depuis ce jour, tout semble sujet à critique. La poussette dernier cri, les petits chaussons en cuir, les goûters bio… et maintenant cette fameuse robe Chanel, offerte par ma sœur qui travaille à Paris. Je n’ai rien acheté moi-même, mais cela n’a pas empêché les commérages. Au marché, les regards se font insistants ; au café du coin, les conversations s’arrêtent quand je passe avec Camille.

— Tu veux vraiment qu’elle devienne une petite bourgeoise ? m’a lancé mon frère un dimanche midi, alors que toute la famille était réunie autour du poulet rôti.

J’ai senti mon cœur se serrer. Je n’ai jamais eu grand-chose, enfant. Mes parents peinaient à joindre les deux bouts. Les vêtements étaient souvent récupérés chez les cousins, trop grands ou trop petits. J’ai grandi avec ce sentiment d’être toujours « à côté », jamais vraiment à ma place. Alors oui, peut-être que je compense. Peut-être que j’essaie de réparer quelque chose en offrant à Camille ce que je n’ai pas eu.

Mais est-ce vraiment un crime ?

Un matin, alors que j’accompagnais Camille à l’école, une mère m’a arrêtée devant le portail.

— Pauline, tu sais… Les autres enfants se moquent d’elle. Ils disent qu’elle fait sa princesse.

J’ai vu les yeux de Camille s’embuer. Elle n’a rien dit, mais j’ai compris. En voulant la protéger du manque, je l’avais exposée à la jalousie et à la méchanceté des autres. Ce soir-là, elle m’a demandé :

— Maman, pourquoi je ne peux pas mettre un jean comme les autres filles ?

J’ai eu envie de pleurer. J’ai repensé à toutes ces fois où j’avais rêvé d’être « comme les autres », invisible dans la cour de récréation. Avais-je oublié ce que ça faisait d’être différente ?

Le soir même, j’en ai parlé à mon mari, Antoine.

— Tu crois que j’en fais trop ?
— Je crois que tu veux bien faire. Mais tu sais… Ici, on n’aime pas trop ce qui sort du lot.

Ses mots m’ont blessée plus que je ne l’aurais cru. J’ai passé la nuit à tourner en rond dans le salon, incapable de trouver le sommeil. Le lendemain matin, j’ai proposé à Camille de choisir elle-même ses vêtements.

Elle a hésité un instant puis a attrapé un vieux pull bleu et un pantalon en velours élimé.

— Tu es sûre ? ai-je demandé doucement.
— Oui maman. Aujourd’hui, je veux être comme mes copines.

En la regardant partir vers l’école, j’ai ressenti un mélange étrange de tristesse et de soulagement. Peut-être que je devais apprendre à lâcher prise, à accepter que l’amour ne se mesure pas à la marque d’une robe ou au prix d’un goûter.

Mais le village n’en avait pas fini avec moi. Quelques jours plus tard, lors du conseil d’école, une mère a pris la parole devant tout le monde :

— Il faudrait peut-être rappeler à certains parents que l’école n’est pas un défilé de mode !

Les regards se sont tournés vers moi. J’ai senti mes joues brûler. J’aurais voulu disparaître. Après la réunion, ma mère est venue me voir.

— Pauline… Tu sais que je t’aime. Mais parfois, il faut savoir s’adapter au monde qui t’entoure.

Je n’ai rien répondu. J’étais fatiguée de me justifier sans cesse.

Ce soir-là, j’ai pris Camille dans mes bras et je lui ai demandé pardon.

— Je voulais juste que tu sois heureuse…
— Je le suis maman. Mais j’ai juste envie d’être moi-même.

Ses mots m’ont bouleversée. Peut-être avais-je confondu bonheur et perfection. Peut-être qu’aimer vraiment son enfant, c’est aussi accepter ses choix et ses envies, même si elles ne correspondent pas aux nôtres.

Aujourd’hui encore, je me demande : où est la limite entre vouloir le meilleur pour son enfant et lui imposer ses propres rêves inassouvis ? Est-ce que l’amour maternel peut vraiment justifier tous les excès ? Et vous… jusqu’où iriez-vous par amour pour votre enfant ?