Mariée à un homme, prisonnière de sa mère : l’histoire de mon mariage étouffé
— Tu n’as pas mis assez de sel dans la soupe, Claire. Chez nous, on aime quand c’est relevé, tu sais bien, lança Madame Dubois en reposant la cuillère avec un bruit sec.
Je serrai les dents. Encore une fois, elle trouvait à redire. Julien, assis à côté d’elle, ne disait rien. Il baissait les yeux sur son assiette, comme s’il n’avait pas entendu. J’aurais voulu qu’il me défende, qu’il dise simplement : « Maman, laisse Claire tranquille. » Mais il ne le faisait jamais.
Je m’appelle Claire Martin et il y a cinq ans, j’ai épousé Julien Dubois. Je croyais que nous allions construire une vie à deux, mais très vite, j’ai compris que nous étions trois dans ce mariage. Sa mère était partout : dans notre salon, dans notre cuisine, dans notre lit même, par ses conseils et ses critiques incessantes.
Au début, j’ai cru que c’était normal. Après tout, en France, la famille compte beaucoup. Mais chez les Dubois, la famille signifiait surtout la mère. Madame Dubois décidait de tout : où nous passions Noël, comment nous devions décorer l’appartement, ce que nous mangions le dimanche. Elle avait un double des clés et entrait chez nous sans prévenir. Un jour, je l’ai trouvée en train de ranger mes sous-vêtements dans la commode.
— Je t’aide un peu, Claire. Tu es si débordée avec ton travail…
Je n’osais rien dire. J’avais peur de passer pour l’ingrate, la mauvaise belle-fille. Julien me disait :
— Elle veut juste aider. Elle est comme ça avec tout le monde.
Mais ce n’était pas vrai. Elle n’était comme ça qu’avec moi.
Les disputes ont commencé à éclater entre Julien et moi. Je lui reprochais de ne jamais me défendre, de toujours prendre le parti de sa mère. Il me répondait qu’il ne voulait pas faire d’histoires.
— Tu sais comment elle est… Si je lui dis quelque chose, elle va se vexer et ce sera pire.
Alors je me taisais. Je faisais des efforts pour plaire à Madame Dubois : je cuisinais ses plats préférés, je l’accompagnais au marché le samedi matin, j’acceptais même qu’elle choisisse la couleur des rideaux du salon.
Mais rien n’était jamais assez bien. Elle trouvait toujours un défaut : « Tu n’as pas bien repassé cette chemise », « Tu devrais t’habiller plus sobrement », « Tu travailles trop tard, tu négliges Julien ».
Un soir d’hiver, alors que je rentrais tard du bureau après une réunion importante, je les ai trouvés tous les deux dans la cuisine. Ils riaient ensemble en préparant le dîner.
— Ah, Claire ! Enfin rentrée ! Tu sais que Julien a eu une promotion ?
J’ai félicité mon mari mais j’ai senti une boule dans ma gorge. J’aurais voulu partager ce moment seule avec lui. Mais sa mère était là, encore une fois.
Les mois ont passé et j’ai commencé à m’éteindre. Je ne riais plus comme avant. Je voyais mes amies de moins en moins souvent parce que Madame Dubois trouvait toujours une raison pour que je reste à la maison : « Julien a besoin de toi », « On va dîner ensemble ce soir », « Tu pourrais m’aider à trier les papiers ».
Un dimanche matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, j’ai entendu une conversation dans le couloir.
— Tu crois qu’elle est faite pour toi ? demanda Madame Dubois à Julien.
— Maman…
— Elle ne comprend rien à notre famille. Elle ne sera jamais comme nous.
J’ai senti mon cœur se briser. J’ai compris que quoi que je fasse, je ne serais jamais acceptée.
J’ai essayé d’en parler à Julien ce soir-là.
— Tu dois choisir, Julien. Soit tu mets des limites à ta mère, soit je pars.
Il m’a regardée avec des yeux tristes.
— Je ne peux pas lui faire ça… Elle est seule depuis la mort de papa. Elle n’a que moi.
Et moi ? Est-ce que j’existais encore pour lui ?
J’ai commencé à regretter toutes ces années passées à essayer de plaire à une femme qui ne voulait pas de moi dans sa vie. J’ai pensé à toutes les fois où j’avais renoncé à mes envies pour ne pas faire de vagues : les vacances annulées parce que Madame Dubois voulait qu’on reste avec elle ; les week-ends entre amis refusés parce qu’elle avait besoin d’aide pour son jardin ; les projets de bébé repoussés parce qu’elle trouvait que « ce n’était pas le bon moment ».
Un soir, après une énième dispute silencieuse avec Julien — car il ne criait jamais, il se contentait de s’enfermer dans le mutisme — j’ai fait ma valise. J’ai laissé une lettre sur la table du salon :
« Julien,
Je t’aime mais je ne peux plus vivre dans l’ombre de ta mère. J’ai besoin d’exister pour moi-même. Peut-être qu’un jour tu comprendras ce que tu as perdu.
Claire »
Je suis partie chez ma sœur à Lyon. Les premiers jours ont été difficiles. J’avais l’impression d’avoir échoué, d’avoir abandonné l’homme que j’aimais. Mais peu à peu, j’ai retrouvé le goût des choses simples : un café en terrasse sans avoir à prévenir personne ; une promenade au parc sans avoir à rendre de comptes ; un silence qui ne pesait plus sur mes épaules.
Julien m’a appelée plusieurs fois mais je n’ai pas répondu tout de suite. Quand enfin j’ai décroché, il m’a dit :
— Maman est perdue sans toi… Moi aussi.
J’ai eu envie de pleurer mais je suis restée forte.
— Il fallait y penser avant.
Aujourd’hui, cela fait six mois que j’ai quitté Julien et sa mère. Je reconstruis ma vie petit à petit. Parfois je me demande si j’aurais pu faire autrement. Si j’aurais dû me battre plus fort ou partir plus tôt.
Mais au fond de moi, je sais que j’ai fait ce qu’il fallait pour me sauver.
Est-ce vraiment cela, l’amour ? S’oublier soi-même pour ne pas blesser les autres ? Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller par amour ?