Sous le même toit : le combat d’un père seul à Lyon

« Papa, on va dormir où ce soir ? » La voix tremblante de Camille, ma fille de huit ans, me transperce alors que je serre la poignée de la porte d’entrée. Derrière nous, l’huissier attend, impassible. Je sens le regard de mon fils Lucas, douze ans, qui refuse de pleurer mais dont les poings se crispent sur son sac à dos. Je n’ai pas de réponse. Je n’ai plus rien.

Tout a basculé en quelques mois. Après le départ brutal de Claire, leur mère, j’ai dû jongler entre mon boulot de chauffeur-livreur et les enfants. Mais quand l’entreprise a fermé, les factures se sont empilées. J’ai tout essayé : petits boulots, aides sociales, prières silencieuses dans la nuit. Mais à Lyon, une ville où tout va vite, la précarité vous rattrape sans prévenir.

Ce matin-là, l’expulsion est tombée comme un couperet. J’ai supplié l’huissier : « Donnez-moi une semaine de plus… » Il a haussé les épaules. « Ce n’est plus entre mes mains, monsieur. »

Dans la rue, je serre mes enfants contre moi. Le froid de décembre mord nos joues. Je me sens minable. Un père incapable d’offrir un toit à ses enfants. Lucas murmure : « On peut aller chez mamie ? » Mais ma mère vit dans un studio minuscule à Vaulx-en-Velin, déjà submergée par ses propres soucis.

Nous passons la première nuit dans le hall d’une gare. Camille s’endort sur mes genoux, Lucas veille, inquiet. Je me répète que demain sera meilleur. Mais le lendemain ressemble au précédent : démarches à la mairie, refus polis, files d’attente interminables à la Croix-Rouge.

Un soir, alors que je tente de rassurer les enfants avec des histoires inventées, une femme s’approche. « Vous avez besoin d’aide ? » Elle s’appelle Sophie, bénévole dans une association du quartier. Elle nous offre un café chaud et surtout, un regard sans jugement.

Grâce à Sophie, nous sommes hébergés quelques nuits dans un foyer d’urgence. Les enfants retrouvent un semblant de routine : école le matin, devoirs le soir sur une table bancale. Mais la honte me colle à la peau. À l’école, Camille baisse les yeux quand on lui demande son adresse.

Un jour, Lucas explose : « Pourquoi c’est nous ? Pourquoi t’as pas réussi à garder la maison ? » Sa colère me déchire mais je comprends sa douleur. Je lui réponds doucement : « Je fais ce que je peux… »

La solidarité finit par se tisser autour de nous. Les voisins du quartier s’organisent : une collecte est lancée sur internet, des sacs de vêtements apparaissent devant la porte du foyer. Un boulanger offre chaque matin des viennoiseries aux enfants.

Un dimanche matin, Sophie arrive avec un sourire radieux : « Antoine, il y a une solution… » Une famille part en voyage pour plusieurs mois et accepte de nous prêter leur appartement à Croix-Rousse. Je n’ose pas y croire.

Le jour où nous emménageons, Camille court dans le salon vide en riant : « On a une maison ! » Lucas retrouve son sourire et m’aide à installer les matelas par terre. Ce n’est pas grand-chose mais c’est chez nous.

À Noël, les voisins frappent à la porte avec des cadeaux emballés et des plats chauds. Je fonds en larmes devant tant de générosité. Pour la première fois depuis longtemps, je sens que tout n’est pas perdu.

Aujourd’hui encore, je repense à ces semaines d’errance et à cette main tendue qui a tout changé. Est-ce que j’aurais eu ce courage sans mes enfants ? Est-ce que la société française sait vraiment combien il est facile de basculer ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment se relever seul dans un monde qui va si vite ?