À chaque anniversaire et Noël, j’offre de l’argent à mes petits-enfants : le silence de mon petit-fils aîné me ronge
« Tu n’as encore rien reçu de Julien ? » La voix de ma fille, Sophie, résonne dans la cuisine alors que je range les assiettes du déjeuner. Je soupire, le cœur serré. « Non, toujours rien. »
Chaque année, c’est la même histoire. À chaque anniversaire et à chaque Noël, j’écris soigneusement un chèque pour chacun de mes petits-enfants. Je glisse le tout dans une jolie carte, parfois avec un mot doux ou une anecdote sur leur enfance. Camille et Eva, mes deux petites-filles, m’appellent aussitôt : « Merci Mamie ! Je vais m’acheter des livres ! » ou « Je vais économiser pour mon voyage scolaire ! » Leur voix enjouée me réchauffe le cœur.
Mais Julien… Julien ne répond jamais. Pas un appel, pas un message, pas même un simple « merci » sur WhatsApp. Il a vingt-deux ans maintenant, il fait ses études à Lyon, il est toujours pressé, toujours occupé. Mais ce silence… Ce silence me ronge.
Je me souviens encore du petit garçon qu’il était. Il courait dans le jardin, les joues rouges, les yeux pétillants. Il me serrait fort dans ses bras en criant : « Mamie ! Regarde ce que j’ai trouvé ! » Où est passé ce petit garçon ?
Un soir de décembre, alors que la pluie tambourine contre les vitres, je décide d’appeler Julien. Mon doigt tremble sur l’écran du téléphone. La sonnerie retentit longtemps avant qu’il ne décroche enfin.
— Allô ?
— Julien… c’est Mamie.
— Ah… salut Mamie. Ça va ?
Sa voix est lointaine, distraite. J’entends des bruits de fond, des rires peut-être.
— Je voulais juste savoir si tu avais bien reçu ma carte pour ton anniversaire…
— Oui oui, merci beaucoup Mamie. Désolé, j’ai oublié de te répondre. J’ai eu beaucoup de boulot avec la fac et…
Il s’arrête. Un silence gênant s’installe.
— Tu sais, Julien… ça me ferait plaisir d’avoir de tes nouvelles de temps en temps. Pas seulement quand j’envoie quelque chose.
— Oui, je sais… Je suis désolé.
Il raccroche vite. Je reste là, le téléphone à la main, les larmes aux yeux. Est-ce que je suis devenue une étrangère pour lui ? Est-ce que l’argent que je lui envoie n’est plus qu’un geste automatique, sans valeur ?
Le lendemain, je croise mon voisin, Monsieur Lefèvre, à la boulangerie.
— Vous avez l’air soucieuse, Françoise.
— Oh, c’est rien… Juste des histoires de famille.
— Les jeunes aujourd’hui… Ils vivent dans un autre monde. Mais il ne faut pas perdre espoir.
Je souris poliment mais au fond de moi, la tristesse persiste. J’en parle à Sophie le dimanche suivant autour d’un café.
— Tu sais maman, Julien n’est pas très démonstratif. Il t’aime sûrement mais il ne sait pas comment te le montrer.
— Mais pourquoi ses sœurs y arrivent-elles ? Pourquoi suis-je la seule à attendre un signe qui ne vient jamais ?
Sophie hausse les épaules. Elle non plus n’a pas la réponse.
Les semaines passent. Noël approche. Je prépare les enveloppes comme chaque année. Cette fois-ci, je glisse un mot différent dans celle de Julien :
« Mon cher Julien,
Je t’aime très fort et je pense souvent à toi. J’aimerais tant avoir de tes nouvelles plus souvent. L’argent n’est qu’un prétexte pour garder le lien entre nous. Ce qui compte vraiment pour moi, c’est de savoir que tu vas bien et que tu penses à moi de temps en temps.
Ta Mamie qui t’embrasse fort »
J’hésite avant de fermer l’enveloppe. Est-ce trop ? Vais-je le mettre mal à l’aise ? Mais je n’en peux plus de ce silence qui me pèse.
Le jour de Noël arrive. Camille et Eva m’appellent dès le matin :
— Mamie ! Merci pour ta carte ! On t’aime fort !
Je souris malgré moi. Mais rien du côté de Julien.
Le soir venu, alors que toute la famille est réunie autour de la table, Julien arrive en retard. Il embrasse tout le monde rapidement et s’assoit sans un mot à côté de moi.
— Tu as reçu ma carte ?
Il hoche la tête sans lever les yeux.
— Merci Mamie…
Sa voix est basse. Je sens qu’il veut dire quelque chose mais il se tait.
Après le repas, alors que tout le monde discute au salon, il vient me voir discrètement dans la cuisine.
— Mamie… Je suis désolé pour tout à l’heure. Je sais que je ne donne pas beaucoup de nouvelles… Mais tu comptes beaucoup pour moi. C’est juste que… je ne sais jamais quoi dire ou comment te parler parfois.
Je prends sa main dans la mienne.
— Tu sais, Julien, ce n’est pas compliqué. Un simple message suffit parfois à rendre une journée plus belle.
Il sourit timidement et me serre dans ses bras comme autrefois. Mon cœur se serre d’émotion.
Ce soir-là, je comprends que les silences cachent parfois des maladresses plus que de l’indifférence. Mais pourquoi faut-il attendre d’être au bord du gouffre pour se parler vraiment ? Est-ce que d’autres grands-parents vivent ce même sentiment d’invisibilité face à leurs petits-enfants ?