Quand j’ai cessé de me battre pour notre mariage, il a enfin ouvert les yeux

« Tu rentres encore tard, François ? » Ma voix tremble à peine, mais je sais qu’il l’entend. Il pose son sac sur le buffet, évite mon regard. « J’avais du travail, Claire. » Toujours la même excuse. Je serre la tasse de thé entre mes mains, espérant que la chaleur me réchauffe plus que ses mots.

Cela fait des années que je recolle les morceaux de notre mariage. J’ai tout essayé : les dîners improvisés, les week-ends à la campagne, les lettres laissées sur l’oreiller. Mais chaque fois, c’est moi qui tends la main, moi qui ravale ma fierté pour éviter que tout s’effondre. Lui, il s’enferme dans le silence ou dans son bureau, prétextant la fatigue ou le stress du cabinet d’architecte.

Je me souviens du début, quand tout était simple. Nous habitions un petit appartement à Nantes, on riait pour un rien. Puis il y a eu les enfants – Camille et Luc – et la routine s’est installée comme une brume épaisse. Les disputes sont devenues plus fréquentes, les silences plus lourds. J’ai cru que c’était normal, que tous les couples traversaient ça. Mais chez nous, c’était toujours moi qui recollais les morceaux.

Un soir de novembre, alors que la pluie battait contre les vitres et que les enfants dormaient déjà, j’ai craqué. « Tu ne m’aimes plus ? » ai-je murmuré. Il a haussé les épaules, l’air las. « Je ne sais pas… Je suis fatigué, Claire. »

J’ai pleuré en silence cette nuit-là, le dos tourné vers lui dans notre lit trop grand. J’ai pensé à partir. Mais où irais-je ? Mes parents sont loin, et je n’ai jamais vraiment travaillé depuis la naissance de Luc. J’ai eu honte de ma dépendance.

Les semaines ont passé. Je me suis surprise à ne plus faire d’efforts. Plus de petits mots doux, plus de dîners spéciaux. Je me suis contentée du minimum : préparer les repas, aider Camille avec ses devoirs, sourire devant les voisins pour sauver les apparences.

C’est alors que François a commencé à changer. Un matin, il a préparé le petit-déjeuner pour tout le monde. Camille a levé les yeux au ciel : « Papa, tu sais faire des crêpes ? » Il a ri – un vrai rire, pas celui qu’il réserve à ses collègues lors des apéros du vendredi soir.

Il a proposé qu’on parte tous ensemble à La Baule le week-end suivant. J’ai accepté sans enthousiasme, persuadée qu’il s’agissait d’un sursaut passager. Mais il a continué : il m’a demandé comment s’était passée ma journée, il a proposé de m’accompagner chez le médecin quand j’ai eu cette vilaine grippe.

Un soir, alors que je rangeais la vaisselle, il est venu derrière moi et m’a enlacée timidement. « Je suis désolé », a-t-il soufflé contre ma nuque. J’ai senti mes jambes fléchir sous l’émotion.

Mais au fond de moi, une question tournait en boucle : pourquoi maintenant ? Pourquoi après toutes ces années où je me suis épuisée à sauver ce mariage ?

J’ai fini par lui demander un soir où nous étions seuls dans le salon :
— Pourquoi tu changes maintenant ?
Il a baissé les yeux.
— J’ai eu peur de te perdre… Quand j’ai vu que tu ne faisais plus d’efforts… j’ai compris que tu étais fatiguée… Que tu pouvais partir.

J’ai pleuré encore une fois, mais cette fois-ci il m’a prise dans ses bras et il n’a pas lâché.

Depuis ce jour-là, il fait des efforts. Parfois maladroits, parfois touchants. Il oublie encore nos rendez-vous chez le kiné pour Luc ou laisse traîner ses chaussettes dans le salon – mais il est là. Présent.

Je sens pourtant une fatigue profonde en moi. Comme si toutes ces années à porter notre couple m’avaient vidée de mon énergie et de ma confiance en lui. Je me demande si on peut vraiment reconstruire quelque chose qui s’est effrité si longtemps.

Camille m’a demandé l’autre jour : « Maman, pourquoi tu es triste alors que papa est gentil maintenant ? » J’ai souri tristement : « Parfois, il faut du temps pour guérir… »

Je regarde François jouer avec Luc dans le jardin et je me demande : est-ce que l’amour peut renaître quand on a tant souffert ? Est-ce qu’on peut vraiment pardonner sans oublier ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment recommencer à zéro après tant d’années de blessures ?