J’ai rêvé d’un foyer, j’ai trouvé des ruines et un enfant qui pleure

— Arrête, Paul, s’il te plaît… Juste cinq minutes de silence, je t’en supplie !

Ma voix tremble, éraillée par la fatigue. Paul hurle encore, ses petits poings frappant le vieux parquet de la chambre. Je ferme les yeux un instant, espérant que le monde disparaisse. Mais non. Le froid s’infiltre par les fenêtres mal isolées, la tapisserie se décolle par plaques, et l’odeur d’humidité me rappelle chaque seconde que je n’ai pas réussi à offrir mieux à mon fils.

Je m’appelle Claire. J’ai trente-deux ans, et je vis dans une maison héritée de ma grand-mère, au fin fond de la Creuse. Petite, je rêvais d’une grande famille, de rires autour d’une table en bois massif, de tartes aux pommes qui cuisent dans le four. Mais aujourd’hui, tout ce que j’ai, c’est une ruine et un enfant qui ne cesse de pleurer.

— Tu ne comprends pas, maman ? J’ai mal au ventre !

Je m’agenouille près de lui, caresse ses cheveux blonds collés de larmes. Je voudrais tant être cette mère douce et patiente que j’imaginais autrefois. Mais la colère monte parfois plus vite que la tendresse.

— Je sais, mon cœur… Mais il faut que tu m’aides aussi. Je suis fatiguée.

Il me regarde avec des yeux immenses, pleins de reproches silencieux. Je me sens minuscule. Où ai-je échoué ?

Le téléphone sonne dans le couloir. C’est ma mère, encore. Elle ne manque jamais une occasion de me rappeler que « tout ça n’aurait pas été pareil si tu étais restée à Paris ». Elle n’a jamais compris pourquoi j’ai tout quitté pour cette maison perdue, pourquoi j’ai voulu élever Paul loin du bruit et du béton.

— Claire ? Tu as l’air épuisée. Tu devrais venir passer quelques jours ici…

Je serre le combiné si fort que mes jointures blanchissent.

— Non maman, ça va aller. On s’en sortira.

Mensonge. Je ne sais même pas comment je vais payer la prochaine facture EDF. Le toit fuit dans la cuisine ; chaque orage est une angoisse supplémentaire. Et Paul… Paul ne dort plus depuis des semaines. Les médecins parlent d’anxiété, de troubles du sommeil. Ils me demandent si tout va bien à la maison. Je baisse les yeux.

Le soir venu, je m’effondre sur le canapé défoncé du salon. J’écoute le vent qui siffle sous la porte d’entrée. Parfois, je me demande si je ne suis pas en train de devenir folle. Je parle toute seule, je pleure en cachette dans la salle de bains pour que Paul ne me voie pas.

Un jour, j’ai surpris une conversation entre deux voisines au marché :

— Tu as vu Claire ? Elle n’a pas l’air bien… Pauvre petit Paul, il fait peine à voir.

J’ai eu envie de hurler : « Venez donc vivre ici une semaine ! » Mais je n’ai rien dit. J’ai souri poliment et j’ai acheté mes pommes comme si de rien n’était.

La solitude est un poison lent. Les amis de Paris se sont éloignés ; ils ne comprennent pas ma vie ici. Les voisins me jugent ou m’ignorent. Parfois, je me demande si je n’existe plus qu’à travers les yeux fatigués de mon fils.

Un soir d’hiver, alors que la tempête fait rage dehors et que Paul pleure encore dans son lit, je craque enfin.

— Pourquoi tu pleures tout le temps ?! Qu’est-ce que je dois faire pour que tu sois heureux ?!

Ma voix claque comme un fouet dans la nuit. Paul se fige, terrorisé. Je m’effondre à genoux devant lui.

— Pardon… Pardon mon amour…

Je le serre contre moi, fort, trop fort peut-être. Il tremble dans mes bras.

Cette nuit-là, je ne dors pas. Je repense à mon enfance à Limoges, aux Noëls chez ma grand-mère où tout semblait simple et lumineux. Pourquoi tout est-il devenu si compliqué ?

Le lendemain matin, je décide d’appeler un psychologue à Guéret. J’ai honte d’avouer que je n’y arrive plus seule. Mais il faut bien essayer quelque chose.

— Bonjour madame Martin ? Je… Je crois que j’ai besoin d’aide.

La voix douce à l’autre bout du fil me rassure un peu. On parle longtemps. Elle me dit que ce n’est pas ma faute si Paul va mal ; que la précarité, l’isolement, ça use même les meilleures volontés.

Petit à petit, les choses changent. J’apprends à demander de l’aide : à la mairie pour des travaux urgents, à l’école pour un suivi psychologique pour Paul. Ce n’est pas facile ; chaque démarche est une montagne à gravir.

Un jour, Paul rentre de l’école avec un dessin : une maison colorée, un soleil énorme et deux personnages qui se tiennent la main.

— C’est nous ?

Il hoche la tête timidement.

Je sens les larmes monter mais cette fois ce sont des larmes d’espoir.

La maison est toujours en ruine ; il y a des jours où tout me semble insurmontable. Mais parfois, au détour d’un sourire ou d’un câlin maladroit, je me dis qu’on finira peut-être par s’en sortir.

Est-ce qu’on a vraiment le droit de rêver encore quand tout s’écroule autour de nous ? Ou faut-il juste apprendre à aimer les ruines et les silences ? Qu’en pensez-vous ?