Deux battements, un seul espoir : le combat de mes jumeaux contre la maladie

— Maman, pourquoi Paul respire comme ça ?

La voix tremblante de mon fils aîné, Louis, résonne encore dans ma tête. Ce matin-là, dans notre appartement de Lyon, je me suis penchée sur le berceau de mes jumeaux, Paul et Pierre. Paul avait le visage pâle, ses lèvres tiraient sur le bleu. Mon cœur s’est serré. Je savais que quelque chose n’allait pas.

Je me souviens avoir crié :
— Antoine ! Viens vite !

Mon mari est accouru. Nous avons filé aux urgences pédiatriques de l’hôpital Édouard-Herriot. Les minutes étaient interminables. L’attente, l’angoisse, les regards fuyants des infirmières… Puis ce médecin, grave, qui nous a reçus dans une petite salle blanche.

— Madame, Monsieur, votre fils Paul présente des signes d’insuffisance cardiaque. Nous devons faire des examens plus poussés.

Le mot « cardiaque » a résonné comme une gifle. Je me suis sentie tomber dans un gouffre. Antoine m’a serrée contre lui, mais je sentais déjà la panique monter. Paul n’avait que trois mois.

Les jours suivants ont été un enchaînement d’examens, d’échographies, de prises de sang. J’étais là, impuissante, à regarder mon bébé branché à des machines qui bipaient sans cesse. Puis, le verdict est tombé : cardiomyopathie dilatée d’origine génétique. Une maladie rare. J’ai cru m’effondrer.

Mais le pire était à venir.

— Nous devons également examiner Pierre, m’a dit la cardiopédiatre. Par précaution.

J’ai ri nerveusement. Pierre allait bien, il riait, il tétait sans problème… Mais après l’échographie cardiaque, j’ai vu le visage du médecin se fermer.

— Pierre présente la même anomalie que son frère.

J’ai hurlé. Littéralement. Dans ce couloir d’hôpital, j’ai crié toute ma douleur, toute ma colère contre l’injustice du sort. Deux bébés sur deux. Mes deux fils condamnés à se battre pour chaque battement de cœur.

Antoine a tenté de rester fort. Mais je l’ai surpris un soir, dans la salle d’attente déserte, la tête entre les mains, pleurant à chaudes larmes. Nous étions seuls face à cette épreuve.

Les semaines suivantes ont été un enfer logistique et émotionnel. Entre les rendez-vous médicaux à Paris pour des avis spécialisés à Necker, les allers-retours en TGV avec deux nourrissons fragiles, les nuits blanches à surveiller leur respiration… Ma vie s’est réduite à une succession de gestes mécaniques : donner les médicaments à heure fixe, noter chaque symptôme dans un carnet, répondre aux questions intrusives de la famille.

Ma mère ne comprenait pas :
— Mais enfin Camille, tu exagères ! Les médecins voient toujours le pire…

J’ai explosé :
— Maman, tu ne comprends pas ! Ce n’est pas une grippe !

Les disputes se sont multipliées avec Antoine aussi. Lui voulait continuer à travailler pour « garder la tête hors de l’eau ». Moi, je voulais qu’il reste avec nous à l’hôpital.

— Tu crois que c’est facile pour moi ?! m’a-t-il lancé un soir.
— Tu crois que je dors tranquille pendant que nos fils luttent pour vivre ?

On s’est enlacés en pleurant. On s’aimait mais on était épuisés.

Un jour, alors que je donnais le bain à Paul et Pierre dans leur petite baignoire bleue, j’ai vu leurs regards se croiser et leurs mains se toucher. J’ai fondu en larmes. Malgré la maladie, ils étaient vivants. Ils riaient ensemble. Ils se battaient ensemble.

Le plus dur a été d’annoncer la nouvelle à Louis, leur grand frère de six ans.
— Maman… Est-ce que Paul et Pierre vont mourir ?

Comment répondre à ça ? J’ai menti. J’ai dit qu’on allait tout faire pour les soigner. Mais la vérité, c’est que personne ne savait ce qui allait se passer.

Les médecins ont parlé de greffe cardiaque possible dans quelques années. D’ici là, il fallait tenir bon. Vivre au rythme des hospitalisations imprévues, des alertes à la fièvre, des nuits passées sur un fauteuil en plastique sous la lumière crue des néons.

J’ai perdu des amis qui ne comprenaient pas pourquoi je ne donnais plus de nouvelles. J’ai perdu mon travail – impossible de concilier tout ça avec mon poste d’infirmière en EHPAD. J’ai perdu une partie de mon insouciance aussi.

Mais j’ai gagné autre chose : une force insoupçonnée. Celle qui fait qu’on se relève chaque matin pour ses enfants. Celle qui fait qu’on sourit même quand on a envie de hurler.

Aujourd’hui encore, je vis dans la peur permanente qu’un simple rhume devienne une urgence vitale. Mais je me bats pour que Paul et Pierre aient une vie aussi normale que possible : sorties au parc sous surveillance rapprochée, anniversaires en petit comité…

Parfois je me demande : pourquoi nous ? Pourquoi eux ? Est-ce qu’on aurait pu éviter ça ? Est-ce que la vie peut vraiment continuer quand on vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Comment trouver la force d’avancer quand tout semble perdu ?