Si tu refuses de dîner avec ma famille, alors cuisine, mets la table et pars !
« Si tu refuses de dîner avec ma famille, alors cuisine, mets la table et pars ! »
La voix de Nathan claque dans la cuisine comme un coup de tonnerre. Je serre le torchon entre mes mains, les jointures blanches, le regard fixé sur la casserole qui bout. Les effluves du bœuf bourguignon me donnent la nausée. Je n’ai pas mangé depuis ce matin, mais ce n’est pas la faim qui me tord l’estomac.
« Tu ne peux pas me demander ça, Nathan. Ce n’est pas juste… »
Il soupire, s’appuie contre le chambranle de la porte. Son visage est fermé, fatigué. Depuis six mois, chaque mot entre nous est une bataille. Depuis ce fameux dimanche où ta mère m’a traitée d’égoïste devant tout le monde parce que j’avais refusé d’annuler mon week-end pour garder leur chien. Depuis que tu n’as rien dit pour me défendre.
Je me souviens encore du silence pesant dans le salon de tes parents à Lyon, des regards échangés, des sourires gênés de ta sœur Camille et de ton frère Julien. Moi, plantée là, humiliée, seule contre tous. Depuis ce jour-là, je n’ai plus remis les pieds chez eux. Et toi, tu fais comme si rien ne s’était passé.
« Mélanie, c’est ma famille. Tu ne peux pas les éviter éternellement. »
Je ris jaune. « Ta famille ? Et moi alors ? Je suis quoi pour toi ? »
Il détourne les yeux. Je vois bien qu’il souffre aussi, mais il ne comprend pas. Il ne veut pas comprendre. Pour lui, la famille passe avant tout. Pour moi, le respect passe avant tout.
La sonnette retentit. Mon cœur rate un battement. Ils sont là. Je jette un coup d’œil à la table : assiettes blanches, verres à pied, serviettes pliées en éventail comme ta mère aime. Tout est parfait. Tout est faux.
Nathan me lance un regard suppliant : « S’il te plaît… Fais-le pour moi. »
Je secoue la tête. « Je ne peux pas faire semblant. Pas après ce qu’elle m’a dit. Pas après ton silence. »
Il s’approche, baisse la voix : « Si tu ne veux pas rester, alors au moins fais ce que je te demande. Prépare le repas, mets la table et laisse-nous entre nous. »
Je sens les larmes monter. Je ravale ma fierté et ma douleur. J’attrape mon manteau, pose le torchon sur le plan de travail.
Dans l’entrée, j’entends les voix familières :
— Oh Nathan ! Tu as l’air fatigué… Où est Mélanie ?
— Elle… elle avait quelque chose à faire.
Je ferme doucement la porte derrière moi et descends les escaliers quatre à quatre. Dehors, il pleut à verse sur Lyon. Je marche sans but dans les rues du quartier Croix-Rousse, le cœur en miettes.
Je repense à notre rencontre à la fac, à nos premiers étés dans le Sud chez mes parents à Avignon, à nos promesses de toujours se soutenir. Où sont passées ces promesses ?
Mon téléphone vibre : un message de Camille.
« Mélanie, tu me manques ce soir… Ce n’est pas pareil sans toi. »
Je souris tristement. Camille a toujours été la seule à comprendre mon malaise face aux traditions familiales rigides des Dubois. Chez moi, on riait fort, on se disputait mais on se réconciliait autour d’un verre de rosé et d’une tarte aux abricots. Chez eux, tout est question d’apparence et de non-dits.
Je m’assois sur un banc sous un abribus déserté.
Un souvenir me revient : la première fois que j’ai rencontré ta mère, elle m’a dit en souriant : « Chez nous, on ne parle pas des problèmes à table. » J’aurais dû comprendre dès ce jour-là que je ne trouverais jamais ma place dans cette famille où l’on préfère cacher les blessures sous une nappe bien repassée.
La pluie tambourine sur le plastique au-dessus de ma tête. Je ferme les yeux et laisse couler mes larmes en silence.
Plus tard dans la soirée, je rentre à l’appartement vide. L’odeur du bœuf bourguignon flotte encore dans l’air, écœurante. Sur la table du salon, un mot griffonné par Nathan :
« Je ne sais plus quoi faire… Reviens-moi. »
Je m’effondre sur le canapé.
Pourquoi est-ce si difficile d’être acceptée telle que je suis ? Pourquoi dois-je toujours choisir entre mon amour-propre et l’amour de l’homme que j’aime ?
Est-ce vraiment ça, la vie de couple en France aujourd’hui ? Se perdre pour plaire à une belle-famille qui ne vous aimera jamais vraiment ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?