Quand Paul m’a dit : « Tu as changé » – Le jour où tout a basculé
« Tu ne pourrais pas… faire un peu plus attention à toi ? »
La phrase est tombée comme une gifle, un soir de novembre, alors que je débarrassais la table, les mains encore humides de vaisselle. Paul était assis sur le canapé, les yeux rivés sur son téléphone. Les enfants venaient à peine de s’endormir après une journée harassante. J’ai senti mon cœur se serrer, la colère monter, mais aussi une tristesse immense. Je me suis retournée, le torchon à la main, et j’ai planté mon regard dans le sien.
« Tu veux dire quoi, exactement ? Que je suis devenue grosse ? »
Il a levé les yeux au ciel, l’air gêné. « Non, mais… Tu sais bien. Avant, tu faisais plus attention. »
Avant. Avant quoi ? Avant les nuits blanches, avant les couches à changer, avant les rendez-vous chez le pédiatre et les lessives qui s’accumulent ? Avant que je ne devienne mère ?
J’ai senti mes joues brûler. J’aurais pu pleurer. Mais j’ai choisi la colère. « Tu sais quoi, Paul ? Si tu veux une femme parfaite, va la chercher ailleurs. Moi, je fais ce que je peux. Toi, tu rentres tard, tu t’occupes à peine des enfants et tu trouves encore le moyen de me juger ? »
Il s’est levé brusquement. « Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Mais tu ne fais plus d’efforts. On dirait que tu t’es oubliée… »
J’ai éclaté de rire, un rire nerveux, presque hystérique. « M’oublier ? Mais comment pourrais-je m’oublier quand tout le monde attend tout de moi ? Les enfants, toi, même ma mère qui me répète sans cesse que je dois retrouver la ligne ! »
Le silence s’est abattu sur le salon. Paul est parti s’enfermer dans la chambre. Moi, je suis restée là, debout dans la lumière blafarde de la cuisine, le cœur en miettes.
Cette nuit-là, j’ai dormi sur le canapé. Je n’ai pas fermé l’œil. Je repassais la scène en boucle dans ma tête. Et si j’avais été trop dure ? Ou pas assez ? Pourquoi est-ce toujours à moi de porter la charge ?
Le lendemain matin, Paul m’a évitée. Les enfants ont senti la tension et se sont accrochés à mes jambes en pleurant pour un rien. J’ai fait semblant d’aller bien. J’ai préparé le petit-déjeuner, habillé les petits, tout en me sentant vide à l’intérieur.
Les jours suivants ont été un calvaire silencieux. Paul rentrait encore plus tard que d’habitude. Il mangeait en silence ou devant la télé. Il ne me touchait plus. Je me suis surprise à scruter mon reflet dans le miroir : mes hanches plus larges, mon ventre mou, mes cernes… J’avais envie de hurler.
Un soir, alors que je bordais Léa et Arthur, Léa m’a demandé : « Maman, pourquoi tu pleures tout le temps maintenant ? »
J’ai menti : « Je suis juste fatiguée, ma chérie. »
Mais la vérité, c’est que je me sentais seule au monde.
J’ai essayé d’en parler à ma sœur, Élodie. Elle m’a dit : « Tu devrais sortir un peu, penser à toi… » Facile à dire quand on n’a pas deux enfants en bas âge et un mari absent.
Un samedi matin, j’ai craqué. J’ai déposé les enfants chez ma belle-mère et je suis partie marcher au bord de la Loire. L’air frais m’a fait du bien. J’ai repensé à Paul, à notre rencontre à la fac à Tours, à nos rêves d’autrefois… Où étaient-ils passés ?
En rentrant, j’ai trouvé Paul dans le salon. Il avait l’air fatigué lui aussi.
« On peut parler ? » a-t-il demandé.
Je me suis assise en face de lui.
« Je suis désolé pour l’autre soir », a-t-il commencé. « Je voulais juste… Je ne sais pas… Retrouver un peu de nous d’avant. J’ai l’impression qu’on s’est perdus tous les deux. »
J’ai senti mes yeux s’embuer.
« Moi aussi », ai-je murmuré. « Mais tu ne te rends pas compte de ce que c’est… Je n’ai plus une minute pour moi. J’aimerais qu’on soit une équipe… Pas que tu sois mon juge. »
Il a hoché la tête.
« Je vais essayer d’être plus présent », a-t-il promis.
Mais les promesses sont restées des mots en l’air. Les semaines ont passé et rien n’a vraiment changé. Paul a recommencé à sortir avec ses amis du foot le vendredi soir ; moi, je continuais à tout gérer seule.
Un soir d’hiver, alors que je rangeais les jouets éparpillés dans le salon, j’ai reçu un message d’une ancienne amie du lycée : « Tu as l’air fatiguée sur tes photos… Prends soin de toi ! »
Encore ce refrain… Prends soin de toi ! Mais comment faire quand on se sent invisible ?
J’ai fini par consulter une psychologue à la PMI du quartier. Elle m’a dit : « Vous avez le droit d’exister pour vous-même aussi. »
Mais comment exister quand on n’est plus que la mère de Léa et Arthur et la femme de Paul ? Quand on n’a même plus l’énergie de rêver ?
Aujourd’hui encore, Paul et moi vivons côte à côte sans vraiment nous retrouver. Parfois je me demande : est-ce ça, la vie de famille en France aujourd’hui ? Est-ce normal de se sentir si seule au sein même de son couple ? Et vous… avez-vous déjà eu l’impression d’être jugée pour votre apparence par ceux qui devraient vous aimer sans condition ?