J’étais venue pour me reposer chez mon fils à Paris, mais j’ai fini par tout nettoyer : Robert et Élise ne m’ont même pas remerciée
— Maman, tu pourrais éviter de déplacer mes dossiers ? J’ai du mal à m’y retrouver après…
La voix de Robert, sèche, résonne encore dans ma tête. Je suis debout dans leur salon, un torchon à la main, entourée de tasses sales, de miettes sur la table basse et d’un panier de linge débordant. Je n’ai pas vu mon fils depuis Noël dernier. J’avais imaginé ce séjour à Paris comme une parenthèse douce, loin de la solitude de ma maison du Limousin. J’espérais des promenades au parc Montsouris, des discussions tardives autour d’un thé, peut-être même quelques confidences d’Élise, sa femme, que je connais si peu.
Mais dès mon arrivée, j’ai compris que rien ne se passerait comme prévu. Robert m’a accueillie d’un baiser distrait sur la joue, le téléphone collé à l’oreille. Élise est sortie de la cuisine en s’essuyant les mains sur son jean :
— Désolée Françoise, on a eu une semaine de folie au boulot. Tu veux un café ?
Leur appartement sentait le renfermé et la vaisselle s’empilait dans l’évier. J’ai souri, masquant ma gêne. J’ai accepté le café, mais c’est moi qui l’ai préparé.
Les premiers jours, j’ai tenté d’ignorer le désordre. Mais chaque matin, je retrouvais la table encombrée de bols vides et de miettes de croissants. Les vêtements traînaient dans le couloir, les plantes manquaient d’eau. Je me suis dit : « Ce n’est pas grave, je vais aider un peu, c’est normal. »
Le deuxième soir, alors qu’ils rentraient tard du travail, j’avais préparé un gratin dauphinois et rangé le salon. Robert a lancé :
— Oh, tu as cuisiné ? Super…
Il s’est servi sans un mot de plus. Élise a mangé en silence, les yeux rivés sur son portable. J’ai attendu un merci qui n’est jamais venu.
Le lendemain matin, j’ai entendu Élise soupirer en découvrant que j’avais repassé ses chemisiers :
— Tu n’étais pas obligée…
J’ai répondu doucement :
— Ça me fait plaisir d’aider.
Mais au fond de moi, une boule se formait. Était-ce vraiment du plaisir ou simplement l’habitude d’être utile ?
Le samedi soir, ils sont sortis dîner avec des amis sans me proposer de venir. Je suis restée seule devant la télévision, le cœur serré. J’ai repensé à toutes ces années où je me suis démenée pour Robert : les goûters préparés après l’école, les nuits blanches quand il avait de la fièvre… Aujourd’hui, il semblait me voir comme une présence encombrante ou, au mieux, une aide-ménagère gratuite.
Le dimanche matin, alors que je passais l’aspirateur dans leur chambre — par réflexe plus que par envie — Robert est entré brusquement :
— Maman ! On essaie de dormir un peu le week-end…
J’ai éteint l’aspirateur, honteuse. J’avais oublié qu’ici, tout était différent. Ici, on ne se lève pas tôt pour profiter du marché ou du jardin ; on récupère du stress de la semaine.
À midi, j’ai préparé un poulet rôti comme il l’aimait enfant. Pendant le repas, j’ai tenté une conversation :
— Vous ne trouvez pas que l’appartement manque un peu de lumière ? Peut-être faudrait-il ouvrir plus souvent les rideaux…
Élise a haussé les épaules :
— On n’a pas trop le temps pour ça.
Robert a soupiré :
— Maman, tu sais, ici c’est différent qu’à la campagne. On court tout le temps.
J’ai senti mes yeux picoter. J’aurais voulu leur dire que moi aussi je courais tout le temps autrefois — pour eux. Que la fatigue ne m’a jamais empêchée d’être attentive aux autres.
Le soir venu, j’ai fait ma valise en silence. Personne ne m’a proposé de rester plus longtemps. Personne ne m’a remerciée pour le linge propre ni pour les repas préparés. Avant de partir, j’ai laissé un mot sur la table : « Merci pour l’accueil. Prenez soin de vous. »
Dans le train du retour vers mon village, je regardais défiler les paysages grisâtres de la banlieue parisienne et je me suis demandé où s’était perdue la tendresse familiale. Est-ce la ville qui rend les gens si pressés ? Ou bien est-ce moi qui n’arrive plus à trouver ma place dans leur vie ?
Je repense à cette semaine comme à un miroir douloureux : ai-je trop donné sans jamais demander ? Ou bien est-ce devenu normal pour eux que je sois là sans exister vraiment ?
Et vous, dites-moi : à quel moment cesse-t-on d’être indispensable à ceux qu’on aime ? Est-ce que nos enfants oublient vraiment tout ce qu’on a fait pour eux ?