Fleurie, mais pas assez sage : Mon bal, mon combat
« Camille, tu ne peux pas entrer. »
La voix sèche de Madame Lefèvre, la CPE du lycée Victor Hugo, résonne encore dans ma tête. Je suis plantée devant la porte du gymnase décoré de guirlandes dorées, mon cœur battant à tout rompre. Autour de moi, les autres élèves passent, rient, prennent des selfies. Moi, je serre les pans de ma robe fleurie contre moi, comme si elle pouvait me protéger.
« Pourquoi ? » Ma voix tremble. Je sens déjà les larmes monter.
Madame Lefèvre soupire, agacée : « Le règlement est clair : pas de motifs trop voyants, pas de décolleté, pas de jupe au-dessus du genou. Ta robe ne respecte pas le code vestimentaire du bal. »
Je baisse les yeux sur ma robe. Elle est longue, légère, couverte de pivoines roses et bleues. Ma mère l’a cousue elle-même, passant des soirées entières à choisir le tissu parfait. Ce n’est pas une robe provocante. C’est une robe qui me ressemble.
« Mais… il y a des filles en robe rouge vif, en dentelle transparente ! »
Madame Lefèvre hausse les épaules : « Ce n’est pas la même chose. »
Je comprends soudain : ce n’est pas la robe qui dérange, c’est moi. Moi et mes cheveux courts, mes Doc Martens sous la jupe, mon air un peu rebelle. Je ne rentre pas dans leurs cases.
Je recule, le souffle court. Derrière moi, j’entends des murmures : « C’est Camille ? Elle s’est encore fait remarquer… »
Je sors en courant dans le parking désert. Il fait froid pour un soir de juin. Je compose le numéro de Chloé, ma meilleure amie.
« Allô ? Camille ? T’es où ? »
Ma voix se brise : « Ils m’ont virée… À cause de ma robe… »
Chloé explose : « Quoi ? Mais c’est n’importe quoi ! Attends, j’arrive ! »
J’attends sur le capot d’une voiture, les bras autour des genoux. Les souvenirs défilent : les essayages avec maman, les rires avec papa qui me disait que j’étais « la plus belle fleur du jardin ». Tout ça pour finir seule dans le noir.
Chloé arrive en trombe. Elle me serre fort contre elle.
« On va pas les laisser faire », murmure-t-elle. « Tu veux rentrer chez toi ? »
Je secoue la tête. Je ne veux pas rentrer. Je ne veux pas voir le regard inquiet de maman, ni entendre papa jurer contre « ces abrutis du lycée ». Je veux juste disparaître.
Le lendemain matin, la nouvelle a déjà fait le tour du lycée. Sur Instagram, certains prennent ma défense : #JusticePourCamille fleurit sous les photos du bal. D’autres se moquent : « Fallait lire le règlement ! »
À la maison, l’ambiance est électrique. Maman est furieuse :
« Ils n’ont pas le droit ! Ta robe était parfaite ! »
Papa veut appeler la presse locale. Moi, je me sens vide.
Le soir, ma cousine Lucie m’appelle :
« Camille… Viens à mon bal samedi prochain. Personne ne te jugera ici. »
J’hésite. Est-ce que je mérite encore de danser ? Est-ce que je ne vais pas gâcher sa fête aussi ? Mais Lucie insiste :
« Tu es ma famille. Et puis… ta robe est trop belle pour rester dans un placard ! »
Samedi arrive. Maman repasse la robe une dernière fois. Elle me regarde dans le miroir :
« Tu es magnifique, ma chérie. N’oublie jamais qui tu es. »
Le bal de Lucie se passe dans une petite salle des fêtes à la campagne. Dès que j’entre, tout le monde me sourit. Personne ne juge ma robe ni mes chaussures.
Lucie m’entraîne sur la piste :
« Ce soir, tu danses pour toi ! »
Je ferme les yeux et je me laisse porter par la musique. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens légère.
Plus tard dans la soirée, un garçon s’approche timidement :
« Ta robe… elle est incroyable. Tu l’as trouvée où ? »
Je souris :
« C’est ma mère qui l’a faite… »
Il hoche la tête avec admiration.
En rentrant chez moi au petit matin, je trouve un message de Madame Lefèvre sur ma boîte mail :
« Camille,
Après réflexion et suite aux réactions suscitées par ta situation, nous souhaitons t’inviter à une réunion pour discuter du règlement du bal et envisager des évolutions pour l’an prochain.
Cordialement,
La Vie Scolaire »
Je souris tristement. Il aura fallu une humiliation publique pour qu’ils acceptent d’écouter.
Assise sur mon lit, la robe encore froissée par la danse, je repense à tout ce qui s’est passé.
Pourquoi faut-il toujours se battre pour être soi-même ? Est-ce qu’un jour on pourra porter ce qu’on veut sans avoir peur d’être jugé ou rejeté ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?