Quand la facture du mariage est tombée, l’amour a vacillé

— Tu as vu le montant, Mathieu ? murmure Jeanne, les mains tremblantes en tenant la facture du traiteur. Je n’arrive même pas à respirer.

Je regarde le papier, les chiffres dansent devant mes yeux. 14 800 euros. Pour une journée. Une journée censée être la plus belle de notre vie. Je sens la sueur froide couler dans mon dos. Je me souviens de la promesse de ses parents, Mireille et Gérard : « Ne vous inquiétez pas, on prendra en charge la moitié. »

Mais ce soir-là, dans leur salon aux murs tapissés de photos de famille, Mireille baisse les yeux. Gérard se racle la gorge. « On… on ne va pas pouvoir vous aider comme prévu. »

Le silence tombe, lourd comme une chape de plomb. Jeanne serre ma main, ses ongles s’enfoncent dans ma paume. Je sens sa colère monter, mais aussi sa honte. Moi, je me sens trahi, perdu. J’ai envie de hurler : pourquoi nous avoir laissé rêver ?

— Mais maman, tu avais promis ! s’écrie Jeanne, la voix brisée.

Mireille se met à pleurer. Gérard explique qu’il a perdu son emploi à l’usine PSA de Sochaux il y a deux mois et qu’ils n’ont rien osé dire pour ne pas gâcher notre bonheur. Je comprends leur détresse, mais je vois aussi notre rêve s’effondrer.

Le lendemain matin, dans notre petit appartement de Besançon, Jeanne tourne en rond.

— On fait quoi maintenant ? Tu veux qu’on annule ?

Je n’ai pas de réponse. Mon salaire d’infirmier ne suffit pas à couvrir une telle somme. Jeanne travaille à mi-temps à la médiathèque. On n’a pas d’économies. J’appelle mes parents à Dijon. Ma mère soupire :

— Tu sais bien qu’on n’a pas les moyens… On peut t’avancer un peu, mais pas plus.

Je raccroche, le cœur serré. Jeanne me regarde avec des yeux rouges.

— On pourrait faire plus simple… Un mariage civil, juste nous deux et quelques amis ?

Mais je vois dans son regard qu’elle rêve de cette grande fête depuis toujours. Elle veut danser avec son père, voir sa grand-mère applaudir au lancer du bouquet.

Les jours passent. Les tensions montent. On se dispute pour un rien : le choix du menu, la liste des invités, même la couleur des serviettes devient un sujet de guerre froide.

Un soir, Jeanne explose :

— Tu ne comprends pas ! Ce mariage, c’est tout ce qui me reste pour croire que la vie peut être belle !

Je me tais. Je pense à mon père qui disait toujours : « L’argent ne fait pas le bonheur, mais il évite bien des malheurs. »

Jeanne s’enferme dans la salle de bains. J’entends ses sanglots étouffés derrière la porte.

Quelques jours plus tard, Mireille vient nous voir avec un gâteau au chocolat.

— Je suis désolée, mes chéris… On va essayer de vendre la vieille voiture pour vous aider un peu.

Jeanne fond en larmes dans les bras de sa mère. Je sens ma colère se dissoudre dans la tristesse générale.

On décide alors de revoir tout le mariage : on réduit la liste des invités, on choisit un buffet froid préparé par des amis au lieu du traiteur chic, on renonce au DJ pour une playlist Spotify et une enceinte Bluetooth.

Le jour J arrive enfin. Il pleut à verse sur Besançon. Ma chemise colle à ma peau sous le stress et l’humidité. Mais quand je vois Jeanne entrer dans la petite salle des fêtes communale, vêtue d’une robe simple cousue par sa tante Lucie, je comprends que l’essentiel est là.

Nos familles sont réunies, même si certains cousins boudent parce qu’ils n’ont pas été invités. Gérard danse maladroitement avec Jeanne sur une valse de Chopin jouée depuis un vieux portable. Mireille rit aux éclats en trinquant avec ma mère.

À minuit, alors que tout le monde chante « La Vie en rose », je prends la main de Jeanne.

— Tu regrettes ?

Elle secoue la tête en souriant à travers ses larmes :

— Non… C’est imparfait, mais c’est nous.

Ce soir-là, je comprends que l’amour ne se mesure pas en euros ni en faste. Mais je me demande encore : pourquoi l’argent a-t-il autant de pouvoir sur nos rêves ? Est-ce que d’autres couples ont déjà failli tout perdre à cause d’une facture ?