Entre amour et jalousie : L’appartement de maman a brisé notre famille
« Tu n’as pas honte, Camille ? » La voix de ma sœur, Élodie, résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Autour de la table, mon frère Julien détourne le regard, les lèvres pincées. Depuis l’enterrement de maman, il y a trois semaines, notre famille n’est plus qu’un champ de ruines.
Je n’ai rien demandé. Je n’ai jamais voulu cet appartement à Montrouge, celui où maman a vécu ses dernières années, où l’odeur du jasmin flotte encore dans le couloir. Mais c’est moi qui ai reçu les clés, moi qui ai signé chez le notaire, parce que maman l’avait écrit ainsi dans son testament. « Pour Camille, qui a toujours été là », avait-elle noté d’une écriture tremblante.
Élodie n’a pas supporté. « Toujours là ? Tu veux dire collée à elle comme une sangsue ! » avait-elle hurlé le jour où nous avons ouvert l’enveloppe. Julien, lui, s’est muré dans le silence, mais je sens sa rancœur à chaque regard fuyant.
Je me souviens de ce soir-là, après la lecture du testament. Nous étions tous les trois assis dans le salon, les yeux rouges, les mains moites. Élodie a jeté la lettre sur la table. « Tu as tout manigancé, avoue ! » J’ai voulu protester, expliquer que j’aurais préféré mille fois garder maman plutôt que ses murs froids et ses souvenirs douloureux. Mais les mots sont restés coincés dans ma gorge.
Depuis, chaque réunion familiale est un supplice. Les repas du dimanche chez papa sont devenus des champs de bataille silencieux. Les conversations tournent autour du vide : la météo, les embouteillages sur le périph’, la hausse du prix du pain. Mais jamais un mot sur maman, jamais un mot sur ce qui nous ronge tous.
Un soir, alors que je rangeais les affaires de maman dans l’appartement, j’ai trouvé une vieille boîte à chaussures sous son lit. À l’intérieur, des lettres jaunies, des photos de nous enfants à la plage de Saint-Malo, des dessins maladroits signés « Camille 1995 ». J’ai pleuré comme une enfant en caressant ces souvenirs. Pourquoi tout doit-il finir ainsi ? Pourquoi l’amour d’une mère devient-il source de haine entre ses enfants ?
Élodie m’a appelée le lendemain. Sa voix était froide : « Tu comptes vendre l’appartement ? Ou tu vas t’y installer comme une reine ? » Je n’ai pas su quoi répondre. Je ne veux ni vendre ni habiter ici ; chaque pièce me rappelle son absence. Mais comment leur faire comprendre ?
Julien a fini par exploser lors d’un déjeuner chez papa. Il a frappé du poing sur la table : « On était trois ! Pourquoi c’est toujours toi qui as tout ? » Papa a tenté d’apaiser les choses : « C’était le choix de votre mère… » Mais personne n’écoute plus personne.
J’ai essayé d’organiser une réunion pour parler calmement. J’ai préparé un gâteau au chocolat — le préféré d’Élodie — et j’ai dressé la table comme autrefois. Mais ils sont arrivés tendus, méfiants. La discussion a vite dégénéré en règlement de comptes : « Tu as toujours été la préférée », « Tu fais semblant d’être gentille mais tu es égoïste », « Tu veux tout garder pour toi ». Les mots ont fusé comme des flèches empoisonnées.
Après leur départ, je suis restée seule dans l’appartement vide. J’ai erré de pièce en pièce, caressant les meubles que maman avait choisis avec soin. J’ai repensé à nos disputes d’enfants, à nos rires dans la cuisine, aux Noëls passés ensemble. Comment avons-nous pu en arriver là ?
Un jour, j’ai croisé Madame Lefèvre, la voisine du dessus. Elle m’a prise dans ses bras : « Votre maman était si fière de vous trois… Elle voulait juste que vous restiez unis. » Ses mots m’ont transpercée. J’ai compris que je devais essayer encore, malgré tout.
J’ai écrit une lettre à Élodie et Julien :
« Je ne veux pas cet appartement si c’est pour perdre ma famille. Si vous voulez qu’on le vende et qu’on partage tout, je suis d’accord. Mais je voudrais qu’on se souvienne ensemble de maman, pas qu’on se déchire à cause d’elle. »
Élodie m’a répondu par un simple SMS : « On verra. » Julien n’a rien dit.
Les semaines passent et rien ne change vraiment. Chacun campe sur ses positions, prisonnier de sa douleur et de sa jalousie. Parfois je me demande si le temps finira par apaiser nos blessures ou si nous resterons à jamais étrangers les uns aux autres.
Est-ce que l’amour d’une mère peut vraiment survivre à l’épreuve de l’héritage ? Ou bien sommes-nous condamnés à nous perdre pour quelques mètres carrés ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?