Le combat d’une mère : Accepter ma belle-fille et retrouver l’harmonie familiale

— Tu ne comprends pas, maman ! Camille n’est pas comme tu crois !

La voix de Julien résonne encore dans le couloir, pleine de colère et de détresse. Je reste figée, la main sur la porte de la cuisine, le cœur battant trop fort. Depuis qu’il m’a annoncé qu’il voulait vivre avec elle, je dors mal. Je me repasse sans cesse cette scène du dimanche où il est arrivé, main dans la main avec cette jeune femme aux cheveux courts, au regard franc. Camille. Elle m’a saluée d’un sourire timide, mais j’ai senti tout de suite qu’elle n’était pas « d’ici ». Pas de notre monde, pas de notre famille.

Je m’appelle Françoise. J’ai 58 ans, veuve depuis cinq ans. Mon fils unique, Julien, est tout ce qu’il me reste. Nous vivons à Tours, dans cette maison pleine de souvenirs et de photos jaunies. Depuis la mort de son père, Julien s’est refermé sur lui-même, et j’ai tout fait pour le protéger. Peut-être trop.

Le soir où il m’a présenté Camille, j’ai senti un gouffre s’ouvrir sous mes pieds. Elle travaille dans le théâtre, elle vient de Paris — une vie bohème, instable. Moi, je suis secrétaire médicale depuis trente ans, j’aime l’ordre et les choses simples. J’ai vu dans ses yeux qu’elle me jugeait aussi : trop stricte, trop provinciale. Le dîner a été un désastre. Julien tentait de détendre l’atmosphère, mais chaque phrase semblait une provocation.

— Vous ne mangez pas de viande ?
— Non, je suis végétarienne…
— Ah…

Silence gênant. J’ai senti la colère monter en moi. Qui était-elle pour bouleverser nos habitudes ?

Les semaines ont passé. Julien passait de plus en plus de temps chez elle à Paris. Il rentrait fatigué, distant. Un soir, il m’a annoncé qu’il voulait s’installer avec Camille.

— Tu vas me laisser toute seule ?
— Maman… J’ai 27 ans ! Il faut que tu comprennes…

Je n’ai rien compris. J’ai pleuré toute la nuit.

J’ai commencé à surveiller ses allées et venues, à lui envoyer des messages inquiets : « Tu rentres quand ? », « Tu manges ici ce soir ? » Il répondait de moins en moins. Un jour, il m’a dit :

— Tu me fais étouffer !

J’ai claqué la porte. J’ai appelé ma sœur Monique pour me plaindre :

— Il m’abandonne pour une Parisienne qui ne sait même pas faire une blanquette !
— Françoise, tu exagères… Laisse-le vivre sa vie.

Mais comment laisser partir son enfant ?

Un samedi matin, Camille est venue seule à la maison. J’ai ouvert la porte à contre-cœur.

— Bonjour Madame Dubois… Est-ce que je peux vous parler ?

Elle tremblait un peu. Je l’ai fait entrer dans le salon.

— Je sais que vous ne m’aimez pas beaucoup…
— Ce n’est pas ça…
— Si, je le sens bien. Mais je vous promets que j’aime Julien. Je ne veux pas vous voler votre fils.

Ses mots m’ont touchée malgré moi. Elle avait l’air sincère. Nous avons parlé longtemps. Elle m’a raconté son enfance difficile, ses parents divorcés, sa passion pour le théâtre qui lui a permis de tenir debout. J’ai vu ses mains trembler sur sa tasse de thé.

— Je voudrais qu’on essaie… Pour Julien.

J’ai hoché la tête sans répondre.

Les mois ont passé. J’ai fait des efforts : j’ai appris à cuisiner végétarien (maladroitement), je suis allée voir une pièce où Camille jouait un petit rôle. Julien était fier comme un coq.

Mais parfois, la jalousie me rongeait encore. Un soir d’hiver, alors que Julien était hospitalisé pour une crise d’appendicite, j’ai vu Camille veiller à son chevet toute la nuit. Je me suis sentie inutile et vieille.

Après sa sortie de l’hôpital, nous nous sommes retrouvées seules dans la cuisine.

— Merci d’être restée avec lui…
— C’est normal. Vous savez… Je n’ai jamais eu de vraie famille. J’aimerais que ça change.

J’ai pleuré devant elle pour la première fois.

Aujourd’hui, ils vivent ensemble à Paris mais reviennent souvent à Tours. Nous partageons des repas bruyants et des souvenirs nouveaux. J’apprends à lâcher prise, à aimer autrement.

Parfois je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’accepter ceux qui sont différents ? Est-ce que je saurai un jour aimer sans peur ? Qu’en pensez-vous ?