Quand la maison n’est plus un refuge : un week-end chez Mamie qui a tout bouleversé

— Tu pourrais au moins faire un effort, Claire ! Ici, on ne laisse pas les enfants courir partout comme des sauvages !

La voix de ma mère résonne dans le salon, sèche, tranchante. Je serre la main de Lucie, ma fille de six ans, qui vient de renverser un vase en jouant à chat avec son frère. Mon cœur bat trop vite. Je sens le regard de Paul, mon fils de huit ans, planté dans mon dos, cherchant un signe, une protection. Je voudrais disparaître.

C’est censé être un week-end simple, une visite chez Mamie à Angers, comme tant d’autres. Mais depuis que Papa est parti il y a trois ans, Maman est devenue plus rigide, plus exigeante. Elle veut que tout soit parfait, que ses petits-enfants soient sages, polis, silencieux. Mais mes enfants sont vivants, bruyants, spontanés. Et moi… je suis fatiguée de jouer les médiatrices.

— Maman, ils sont juste excités d’être ici…

— Excités ? Tu appelles ça être excité ? Ils n’ont aucune éducation !

Je ravale mes larmes. Je me sens redevenir la petite fille qu’elle grondait pour un rien. Je me revois à dix ans, assise sur le même canapé, les mains crispées sur mes genoux, priant pour qu’elle ne remarque pas mes chaussures sales ou mes devoirs bâclés.

Lucie s’accroche à ma jambe. Paul s’est réfugié derrière le rideau. Je voudrais les protéger de cette tension, mais je ne sais plus comment faire.

Le dîner est tendu. Maman pose la soupe devant les enfants avec un sourire forcé.

— Ici, on finit son assiette. Pas question de gaspiller.

Paul grimace. Il déteste la soupe aux poireaux. Je le sais. Mais je n’ose pas intervenir.

— Mange, Paul, murmuré-je.

Il me lance un regard suppliant. Je sens la colère monter en moi contre ma mère, contre moi-même. Pourquoi suis-je incapable de dire non ? Pourquoi ai-je si peur de la décevoir ?

Après le repas, Lucie pleure parce qu’elle veut regarder un dessin animé avant de dormir. Maman refuse catégoriquement.

— Chez moi, pas d’écran après 19h !

Je tente de négocier :

— Juste dix minutes ? C’est leur rituel du soir…

— C’est chez toi que tu fais ce que tu veux. Ici, c’est chez moi !

Je cède encore. Lucie s’endort en sanglotant dans mes bras. Paul fait semblant de dormir mais je vois ses poings serrés sous la couverture.

Dans la chambre d’amis où je dors seule, je tourne en rond dans mes pensées. Je me sens coupable d’imposer ce climat à mes enfants. Coupable aussi d’en vouloir à ma mère qui a tant donné pour moi après le divorce. Mais pourquoi faut-il que chaque visite se transforme en épreuve ?

Le lendemain matin, Paul refuse de descendre prendre le petit-déjeuner.

— Je veux rentrer à la maison.

Je m’assois à côté de lui sur le lit.

— On ne peut pas partir maintenant… Mamie serait triste.

Il me regarde droit dans les yeux :

— Et toi, tu n’es pas triste ?

Sa question me transperce. Oui, je suis triste. Triste de ne pas savoir protéger mes enfants sans blesser ma mère. Triste de devoir choisir entre leur bien-être et l’amour filial.

Dans la cuisine, Maman prépare le café en silence. Je sens sa fatigue derrière ses gestes mécaniques.

— Tu sais, Claire… Ce n’est pas facile pour moi non plus. J’ai l’impression que tu ne me respectes plus.

Je prends une grande inspiration.

— Maman… J’aimerais qu’on trouve un moyen d’être ensemble sans que ce soit toujours une lutte. Les enfants ont besoin d’être eux-mêmes ici aussi.

Elle pose la cafetière avec fracas.

— Et moi ? J’ai pas le droit d’avoir la paix chez moi ?

Le silence s’installe. Je sens que tout pourrait exploser ou s’effondrer d’un mot de trop.

Paul et Lucie entrent timidement dans la cuisine. Lucie serre son doudou contre elle.

— Mamie… tu veux jouer aux cartes avec nous ?

Maman hésite puis soupire.

— D’accord… Mais pas de cris !

Nous nous asseyons tous autour de la table. Pour la première fois du week-end, je sens une accalmie fragile s’installer.

Mais au fond de moi, je sais que rien n’est réglé. Que la prochaine visite sera encore une épreuve si rien ne change vraiment.

Sur le chemin du retour en voiture, Lucie s’endort contre moi. Paul regarde par la fenêtre sans parler.

Je me demande : comment aimer sa famille sans se perdre soi-même ? Comment poser des limites sans briser les liens ? Est-ce qu’un jour j’arriverai à être à la fois une bonne fille et une bonne mère ?

Et vous… avez-vous déjà eu à choisir entre votre famille et votre propre équilibre ?