Quand chaque appel de ma fille me brise un peu plus : Histoire d’une mère française entre amour, déception et espoir
— Maman, tu pourrais me faire un virement de 200 euros ?
La voix de Camille, sèche, presque mécanique, résonne dans mon oreille comme une gifle. Je serre le téléphone si fort que mes doigts blanchissent. Je voudrais lui demander comment elle va, si elle a bien mangé, si elle pense parfois à moi autrement qu’en termes de factures à payer. Mais je ravale mes mots. Je dis simplement :
— Oui, ma chérie.
Elle raccroche aussitôt. Pas un merci. Pas un « je t’aime ». Juste ce silence qui s’installe après chaque appel, plus lourd que le précédent. Je reste là, assise sur le canapé du salon, entourée de photos jaunies où Camille souriait encore à la vie… et à moi.
Je m’appelle Hélène, j’ai cinquante-six ans. J’habite à Lyon, dans un appartement trop grand depuis que Camille est partie faire ses études à Paris. J’ai élevé ma fille seule après que son père, Laurent, nous a quittées pour refaire sa vie avec une femme plus jeune. J’ai tout donné à Camille : mon temps, mon énergie, mes économies. Je me souviens encore de ses petits bras autour de mon cou, de ses « Maman, t’es la meilleure du monde ! »
Mais aujourd’hui, chaque appel de Camille me fait peur. Je sais qu’elle ne m’appelle plus que pour l’argent. Elle ne veut pas entendre parler de mes soucis de santé, ni de ma solitude. Elle ne veut pas savoir que je me réveille parfois la nuit en pleurant, que je parle à ses photos comme à une amie disparue.
La dernière fois que je lui ai proposé de venir passer un week-end à la maison, elle a soupiré :
— Tu sais bien que j’ai trop de boulot… Et puis Lyon, c’est loin.
J’ai senti la colère monter en moi.
— Mais tu trouves le temps d’aller en week-end avec tes amis à Marseille !
Elle a haussé le ton :
— Arrête de me faire culpabiliser ! Tu ne comprends rien à ma vie !
Depuis ce jour-là, nos conversations sont devenues encore plus rares et superficielles. Je me demande où j’ai échoué. Est-ce parce que je l’ai trop protégée ? Ou pas assez ? Est-ce la faute de Laurent qui n’a jamais su être un vrai père ?
Le soir, je dîne seule devant la télévision. Parfois, je croise ma voisine, Madame Dupuis, qui me demande des nouvelles de Camille avec ce sourire compatissant qui me donne envie de pleurer.
— Elle va bien ? Tu la vois souvent ?
Je mens :
— Oui, elle est très occupée mais tout va bien.
Mais tout va mal. Je me sens invisible. Je n’existe plus que comme un portefeuille ambulant. J’ai honte d’envier les autres mères qui reçoivent des messages tendres ou des visites surprises.
Un dimanche matin, alors que je rangeais la chambre de Camille restée intacte depuis son départ — posters d’acteurs français sur les murs, peluches sur le lit — j’ai trouvé une vieille lettre qu’elle m’avait écrite pour la fête des mères :
« Maman, tu es mon soleil. Je t’aime plus que tout au monde. »
Les larmes ont coulé sans que je puisse les retenir. Où est passée cette petite fille ? Où est passée notre complicité ?
J’ai tenté d’en parler à mon frère Philippe lors d’un déjeuner familial.
— Tu sais, Hélène, les jeunes aujourd’hui… Ils sont tous comme ça. Il faut leur laisser du temps.
Mais moi, je n’ai plus le temps. Ma santé décline. J’ai peur de partir sans avoir retrouvé le regard aimant de ma fille.
Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres et que la solitude me serrait la gorge, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai appelé Camille.
— Allô ? fit-elle d’une voix lasse.
— Camille… Je voulais juste entendre ta voix. Savoir comment tu vas…
Un silence gênant s’est installé.
— Je suis fatiguée, Maman. J’ai pas trop le temps là…
J’ai senti mon cœur se briser un peu plus.
— Tu sais… Tu me manques. J’aimerais qu’on se parle vraiment… Pas seulement pour l’argent.
Elle a soupiré.
— Tu dramatises toujours tout !
J’ai raccroché avant qu’elle ne le fasse. J’ai pleuré toute la nuit.
Depuis ce jour-là, je n’ose plus l’appeler. J’attends ses messages comme on attend la pluie après la sécheresse : avec espoir et crainte mêlés.
Parfois je rêve qu’elle revient vers moi, qu’elle s’excuse, qu’elle comprend enfin tout l’amour que j’ai pour elle. Mais au réveil, il ne reste que le silence et le vide.
Je continue pourtant d’espérer. Parce qu’une mère n’abandonne jamais vraiment son enfant. Même quand chaque appel fait plus mal que le silence.
Est-ce que j’aurai un jour le courage de lui dire tout ce que j’ai sur le cœur ? Est-ce qu’on peut vraiment réparer une relation brisée par l’indifférence et les non-dits ? Qu’en pensez-vous ?