Mon frère ne me parle plus : histoire de jalousie, de famille et de liens brisés

« Tu crois que t’es la préférée, hein ? » La voix de Julien résonne encore dans ma tête, tranchante comme une lame. C’était un soir d’octobre, la pluie martelait les vitres du salon et nos parents venaient de me tendre les clés d’une Clio d’occasion. J’ai vu son regard se durcir, ses poings se serrer. J’ai voulu lui sourire, partager ma joie, mais il s’est levé brusquement, la mâchoire crispée. « Félicitations, Camille. » Il a claqué la porte derrière lui, me laissant seule avec un goût amer dans la bouche.

Julien et moi, on était inséparables. On partageait tout : les secrets d’enfance, les fous rires dans la cour de récréation, les confidences sur l’oreiller quand l’orage grondait dehors. Nos parents disaient souvent qu’on était comme les deux doigts de la main. Mais ce soir-là, j’ai compris que quelque chose s’était brisé.

Les jours suivants, Julien m’a évitée. Il ne descendait plus dîner en même temps que moi. Il passait des heures enfermé dans sa chambre, casque vissé sur les oreilles. J’ai frappé à sa porte :

— Julien, tu veux qu’on aille faire un tour ?

Silence. Puis un « Laisse-moi tranquille » étouffé.

J’ai essayé de comprendre. Pourquoi cette voiture avait-elle tout changé ? Je n’avais rien demandé. Nos parents disaient que c’était pratique pour mes études à la fac de Nantes, que Julien aurait la sienne l’an prochain. Mais lui n’entendait que l’injustice.

À table, l’ambiance est devenue glaciale. Maman tentait de détendre l’atmosphère :

— Julien, tu veux un peu plus de gratin ?

Il haussait les épaules sans répondre. Papa soupirait, moi je baissais les yeux sur mon assiette. Les repas sont devenus des épreuves.

Un soir, j’ai craqué. Je suis entrée dans sa chambre sans frapper. Il était là, allongé sur son lit, le regard fixé au plafond.

— Tu vas continuer à m’ignorer longtemps ?

Il s’est redressé d’un bond :

— Tu comprends rien ! T’as toujours tout eu ! Les meilleures notes, les compliments… Maintenant la voiture ! Et moi ? On s’en fout de moi !

J’ai senti mes yeux brûler.

— Mais c’est pas vrai… Je t’ai jamais volé quoi que ce soit !

Il a ri, amer :

— Bien sûr… Tu comprends jamais rien.

Il m’a tourné le dos. J’ai claqué la porte à mon tour, le cœur en miettes.

Les semaines ont passé. Julien s’est éloigné de plus en plus. Il sortait tard le soir avec des copains dont je ne connaissais même pas les prénoms. Parfois il rentrait ivre, titubant dans le couloir. Maman pleurait en silence dans la cuisine ; Papa s’énervait contre tout le monde.

Je me suis sentie coupable. J’ai même songé à rendre la voiture. Mais nos parents refusaient :

— Ce n’est pas ta faute, Camille. Julien doit apprendre à gérer ses émotions.

Mais moi, je voulais juste retrouver mon frère.

Un samedi matin, je l’ai surpris en train de fouiller dans mes affaires. Il cherchait mes clés.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Il a sursauté, puis a baissé les yeux.

— Rien… Je voulais juste voir comment c’était.

J’ai tendu les clés vers lui.

— Prends-les si tu veux. On peut y aller ensemble.

Il a hésité, puis a secoué la tête.

— Non… C’est trop tard maintenant.

Il est parti sans un mot de plus.

Depuis ce jour-là, il ne m’a plus jamais vraiment parlé. On vit sous le même toit mais on est devenus des étrangers. Les repas sont silencieux ; nos parents font semblant que tout va bien mais leurs regards trahissent leur inquiétude.

Je me demande souvent si j’aurais pu faire autrement. Si j’avais refusé cette voiture… Si j’avais su trouver les mots pour apaiser sa colère… Peut-on vraiment réparer ce qui est cassé ?

Parfois je passe devant sa porte et j’écoute : il y a juste le silence. Un silence lourd qui me serre la gorge.

Aujourd’hui encore, je garde les clés dans un tiroir et je n’ose plus conduire. Je me sens responsable de cette fracture qui a déchiré notre famille.

Est-ce qu’on peut pardonner à ceux qu’on aime quand la jalousie a tout emporté ? Est-ce qu’un jour mon frère reviendra vers moi ?