Quand mon fils m’a annoncé qu’il voulait s’installer dans la vieille maison de campagne : entre amour maternel et peur de le perdre

« Tu ne comprends jamais rien, maman ! » La voix de Julien résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant mes mots. Il me regarde, les yeux brillants d’une détermination nouvelle. « Je veux partir vivre avec Camille dans la maison de campagne. On a besoin d’air, d’espace… »

Je sens mon cœur se serrer. Cette vieille maison à Saint-Aubin, c’est tout ce qui reste de mes parents. Elle tombe en ruine, elle sent l’humidité et les souvenirs d’enfance. Mais pour Julien, c’est un rêve de liberté. Pour moi, c’est un gouffre d’inquiétude.

« Julien, tu n’as que vingt ans… Et tes études ? Tu crois vraiment que tu vas pouvoir suivre à distance ? »

Il soupire, exaspéré. « On est en 2024, maman ! Tout se fait en ligne maintenant. Et puis, Camille a trouvé un boulot à la boulangerie du village. »

Je sens la colère monter. « Et si ça ne marche pas ? Si vous vous disputez ? Si tu te retrouves seul là-bas ? »

Il détourne les yeux. « Tu ne me fais pas confiance… »

Je voudrais lui dire que ce n’est pas ça. Que je l’aime trop pour le laisser partir sans rien dire. Mais je me tais. Je repense à mon propre départ, il y a trente ans, quand j’ai claqué la porte de chez mes parents pour suivre Pierre à Paris. Ma mère avait pleuré toute la nuit. Aujourd’hui, c’est moi qui retiens mes larmes.

Le lendemain, j’en parle à Pierre, mon mari. Il hausse les épaules : « Il faut le laisser essayer. On ne peut pas le garder ici toute sa vie… »

Mais moi, je vois tout ce qui pourrait mal tourner : les factures impayées, la chaudière qui lâche en plein hiver, les disputes de couple… Je me sens seule contre tous.

Le soir même, Camille vient dîner à la maison. Elle est douce, attentive, mais je sens qu’elle marche sur des œufs. À table, elle lance timidement : « On pourrait retaper un peu la maison… Peut-être que ça vous ferait plaisir aussi ? »

Je ravale ma fierté. « Ce n’est pas une question de plaisir, Camille. C’est beaucoup de travail et d’argent… »

Julien explose : « On n’a pas besoin de ton argent ! Juste un peu d’aide pour commencer… »

Le silence tombe comme une chape de plomb.

Les jours passent et l’ambiance à la maison devient irrespirable. Ma fille aînée, Claire, prend le parti de son frère : « Maman, tu devrais être fière qu’il veuille se débrouiller tout seul ! »

Mais comment être fière quand on a peur ? Je dors mal, je fais des cauchemars où Julien m’appelle au secours au milieu de la nuit.

Un samedi matin, je cède. Je propose d’aller voir la maison avec eux. Sur place, tout me saute aux yeux : les volets défoncés, la mousse sur le toit, l’odeur de renfermé… Mais eux ne voient que le potentiel. Julien court dans le jardin en riant, Camille prend des photos du vieux poirier.

« Tu vois maman ? On va s’en sortir », dit-il en me serrant la main.

Je sens mes défenses s’effondrer. Je propose mon aide pour repeindre les murs et réparer la plomberie. Peu à peu, je me surprends à donner des conseils sur l’isolation ou à raconter des souvenirs d’enfance dans cette maison.

Mais rien n’apaise vraiment mon angoisse. Un soir, alors que je rentre seule à Paris après une journée de travaux à Saint-Aubin, je reçois un appel de Julien. Sa voix est tremblante : « Maman… Camille est partie chez ses parents après une dispute. Je crois que j’ai tout gâché… »

Je saute dans ma voiture sans réfléchir. Sur la route déserte, je repense à toutes ces fois où j’ai voulu protéger mes enfants du monde, sans réussir à les empêcher de souffrir.

Quand j’arrive, Julien est assis sur le perron, en larmes. Je m’assieds à côté de lui et le prends dans mes bras.

« Tu sais… », dis-je doucement, « on ne peut pas empêcher ceux qu’on aime de faire leurs propres erreurs. Mais on peut toujours être là quand ils tombent. »

Il pleure longtemps contre mon épaule. Au petit matin, Camille revient. Ils se parlent longtemps dans le jardin pendant que je prépare du café.

Quelques semaines plus tard, ils décident finalement de rester dans la maison et d’affronter ensemble les difficultés. Je passe les voir chaque dimanche ; parfois on rit, parfois on pleure encore.

Aujourd’hui, je regarde Julien et Camille repeindre le portail sous le soleil d’avril. Je sens une fierté nouvelle mêlée à une tristesse douce-amère.

Ai-je eu raison de céder ? Où finit l’amour maternel et où commence la peur d’être oubliée ? Est-ce qu’on protège vraiment ses enfants en les retenant près de soi ? Qu’en pensez-vous ?