Entre Deux Feux : Quand Mon Mari Refuse de Voir Ma Mère

« Je n’irai pas ce soir, Camille. »

La voix d’Antoine résonne dans le salon, sèche, tranchante. Je reste figée, la main crispée sur mon téléphone, le message de ma mère encore affiché à l’écran : « Hâte de vous voir tous les deux ce soir ! »

« Tu plaisantes ? » Ma voix tremble. Jamais il n’a refusé un dîner chez maman. C’est notre rituel du dimanche, même depuis qu’on s’est installés ensemble à Paris. Maman compte sur nous, surtout depuis que papa est parti. Elle vit seule à Montrouge, et ces repas sont son rayon de soleil.

Antoine détourne les yeux, s’enfonce dans le canapé. « Je suis fatigué. Et puis… je n’ai pas envie d’entendre encore ses remarques sur mon boulot ou sur notre façon d’élever Lucie. »

Je sens la colère monter. « Mais tu sais bien qu’elle ne fait pas exprès ! Elle s’inquiète, c’est tout… »

Il soupire, lève les mains : « Camille, je t’aime, mais ta mère me juge sans arrêt. J’ai besoin d’une pause. »

Je reste là, déchirée. D’un côté, Antoine, mon mari depuis six ans, le père de notre petite Lucie. De l’autre, maman, veuve depuis trois ans, qui se raccroche à nous pour ne pas sombrer dans la solitude. Je me sens prise au piège.

Je repense à la dernière fois : maman avait critiqué la façon dont Antoine parlait à Lucie quand elle refusait de finir ses légumes. Il avait mal pris la remarque, mais j’avais tenté de désamorcer la situation avec une blague. Visiblement, la blessure est restée.

Je m’approche d’Antoine, tente une dernière fois : « Tu pourrais au moins faire un effort… Pour moi ? »

Il secoue la tête. « Pas ce soir. J’ai besoin de souffler. »

Je monte dans la chambre pour appeler maman. Sa voix enjouée me serre le cœur.

« Antoine ne viendra pas ce soir… Il est fatigué », bredouillé-je.

Un silence gênant s’installe. Puis elle soupire : « Je comprends… Mais tu viendras quand même ? »

J’hésite. Laisser Antoine seul avec Lucie ? Ou laisser maman seule à table ? Je me sens coupable dans tous les cas.

Je raccroche en promettant de passer, mais mon cœur bat la chamade. Je redescends au salon où Lucie joue avec ses poupées.

« Maman, on va chez Mamie ? »

Je regarde Antoine. Il évite mon regard.

« Oui, ma chérie… On va y aller toutes les deux. »

Le trajet en métro jusqu’à Montrouge se fait dans un silence pesant. Lucie chantonne doucement, inconsciente du drame qui se joue entre les adultes.

Chez maman, l’ambiance est étrange. Elle force un sourire, me serre fort dans ses bras.

« Il va bien, Antoine ? » demande-t-elle à voix basse pendant que Lucie file dans sa chambre.

Je hoche la tête sans conviction. « Il est juste… fatigué. »

Le dîner se passe sans éclat mais sans joie non plus. Maman tente de cacher sa déception derrière des questions banales sur l’école de Lucie ou mon travail à la médiathèque.

En rentrant le soir, je trouve Antoine devant la télé, l’air soucieux.

« Ça s’est bien passé ? » demande-t-il sans me regarder.

Je m’assieds à côté de lui. « Oui… Mais elle était triste. »

Il soupire : « Camille, je ne veux pas qu’on se dispute à cause d’elle… Mais j’ai besoin que tu comprennes aussi ce que je ressens. »

Je sens les larmes monter. « Et moi ? Qui comprend ce que je ressens ? Je suis toujours celle qui doit faire le lien entre vous deux… J’en ai marre d’être au milieu ! »

Il pose sa main sur la mienne. « On pourrait peut-être espacer un peu les visites… Ou alors tu y vas seule de temps en temps ? »

Je secoue la tête : « Ce n’est pas ça que je veux… Je veux qu’on soit une famille ! »

Les jours passent et la tension ne retombe pas. Maman m’envoie des messages plus espacés ; Antoine évite le sujet. Je me sens seule au monde.

Un soir, alors que Lucie dort déjà, j’explose :

« Tu sais quoi ? J’ai l’impression que tu refuses une partie de moi en refusant ma mère ! »

Antoine se lève brusquement : « Et moi ? Tu crois que c’est facile d’être toujours jugé ? J’ai l’impression de ne jamais être assez bien pour elle… ni pour toi ! »

Le silence retombe comme une chape de plomb.

Je repense à mon enfance, aux dimanches bruyants chez mes grands-parents à Lyon, aux repas interminables où tout le monde riait fort malgré les disputes passagères. Aujourd’hui tout semble si fragile.

Quelques jours plus tard, maman m’appelle :

« Camille… Je crois qu’il faut qu’on parle tous les trois. Je ne veux pas être un poids pour vous… Mais j’ai besoin de comprendre ce qui se passe. »

J’accepte à contrecœur et propose un café chez nous le samedi suivant.

Le jour venu, l’ambiance est électrique. Maman arrive avec un gâteau fait maison ; Antoine fait des efforts pour sourire.

Après quelques banalités, maman prend la parole :

« Antoine… Je sais que je peux être maladroite parfois. Mais tu fais partie de la famille maintenant. Si quelque chose te dérange, il faut me le dire… Je ne veux pas vous perdre tous les deux. »

Antoine hésite puis lâche : « J’ai juste besoin qu’on me fasse confiance avec Lucie… Et que tu arrêtes de comparer tout à ce que faisait ton mari ou toi avant… »

Maman baisse les yeux puis sourit tristement : « Tu as raison… J’ai du mal à lâcher prise depuis que je suis seule. Mais je vais essayer… Pour vous deux et pour Lucie. »

Un silence apaisant s’installe enfin.

Ce soir-là, après le départ de maman, Antoine me prend dans ses bras :

« On va y arriver tous ensemble… Mais il faut qu’on se parle plus souvent comme ça. »

Je ferme les yeux, soulagée mais encore inquiète.

Est-ce vraiment possible de concilier amour conjugal et fidélité familiale sans se perdre soi-même ? Et vous… avez-vous déjà été pris entre deux feux comme moi ?