Je n’ai pas dit à mon mari la vérité sur ma promotion – et il est parti sans un mot
« Tu me prends pour un idiot, c’est ça ? » La voix de Paul résonne encore dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, incapable de soutenir son regard. Il vient de découvrir le relevé bancaire que j’avais oublié sur la table. Ce chiffre, là, en gras : mon nouveau salaire. Je n’ai rien dit. Je n’ai rien dit parce que j’avais peur.
Tout a commencé il y a trois mois, dans les bureaux gris de la société d’assurances où je travaille à La Défense. Mon chef, Monsieur Lefèvre, m’a appelée dans son bureau. « Félicitations, Camille. Vous avez fait un travail remarquable cette année. Nous avons décidé de vous accorder une augmentation substantielle. » J’ai souri, j’ai remercié, mais au fond de moi, une angoisse sourde s’est installée. Comment allais-je l’annoncer à Paul ?
Paul et moi, on s’est rencontrés à la fac de droit de Nanterre. Lui, le rêveur, passionné de cinéma ; moi, la pragmatique, toujours le nez dans mes dossiers. On s’est aimés pour nos différences. Mais depuis quelques années, ces différences sont devenues des gouffres. Paul enchaîne les petits boulots, refuse les CDI « pour ne pas s’enfermer », dit-il. Moi, je compte chaque centime pour payer le loyer du deux-pièces à Montreuil et les factures EDF qui s’accumulent.
La veille de cette dispute, Paul était rentré tard, encore une fois. Il avait acheté une nouvelle caméra « d’occasion » pour un projet qui ne verrait sans doute jamais le jour. J’ai explosé :
— Tu te rends compte qu’on n’a même pas de quoi remplir le frigo ?
— Arrête avec tes reproches ! Tu crois que c’est facile pour moi ?
J’ai ravale mes mots. J’aurais pu lui dire que j’avais eu une augmentation. Mais j’ai eu peur qu’il dépense tout, comme d’habitude.
Alors j’ai menti. J’ai mis l’argent de côté sur un livret épargne à mon nom. Pour la sécurité. Pour le cas où…
Mais ce soir-là, tout a éclaté.
— Depuis combien de temps tu me mens ?
— Ce n’est pas ce que tu crois…
— Ah non ? Alors explique-moi pourquoi tu caches ton salaire ?
Je n’ai pas su quoi répondre. Les mots se sont emmêlés dans ma gorge.
Paul a jeté sa veste dans sa valise, attrapé quelques vêtements à la hâte.
— Tu sais quoi ? Je préfère partir. Je ne peux pas vivre avec quelqu’un qui ne me fait pas confiance.
La porte a claqué derrière lui. Le silence m’a frappée en plein cœur.
Les jours suivants ont été un supplice. Ma mère m’a appelée :
— Camille, tu vas bien ? Tu as l’air fatiguée…
— Ça va maman, juste un peu de stress au travail.
Je n’ai rien dit à personne. Comment expliquer que j’avais trahi la confiance de l’homme que j’aimais ?
Le soir, je rentrais dans notre appartement vide. Les murs semblaient plus froids, plus hostiles. Je repensais à tous ces moments où j’aurais pu parler à Paul, lui dire mes peurs, mes doutes. Mais je me suis tue. Par orgueil ? Par peur de le blesser ? Ou simplement parce que je n’en pouvais plus d’être la seule adulte dans ce couple ?
Un soir, il m’a appelée.
— Camille… Je voulais juste te dire que je vais rester chez mon frère pour un moment.
— Je comprends…
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
Sa voix était lasse, brisée.
— J’avais peur que tu dépenses tout… J’avais besoin de sécurité.
— Tu ne me fais donc pas confiance…
Un silence lourd s’est installé.
— Peut-être qu’on n’est plus faits pour être ensemble, Camille.
J’ai raccroché en larmes.
Depuis, je vis comme une automate : métro-boulot-dodo. Mes collègues me regardent avec pitié quand je refuse les déjeuners au bistrot du coin. Ma sœur Julie me harcèle de messages : « Viens passer le week-end à Lyon ! » Mais je n’ai envie de rien.
Parfois, je relis les messages de Paul sur mon téléphone. Je me demande si j’aurais dû tout lui dire dès le début. Si la sincérité aurait suffi à sauver notre couple ou si elle aurait simplement accéléré la chute.
Je repense à tous ces couples autour de moi qui se mentent sur l’argent : ma collègue Sophie qui cache ses achats compulsifs à son mari ; mon voisin Gérard qui fait croire à sa femme qu’il a encore un emploi alors qu’il est au chômage depuis six mois… Est-ce que le mensonge est parfois nécessaire pour survivre ? Ou est-ce le début de la fin ?
Aujourd’hui, je suis seule avec mes questions et mon compte épargne bien garni. Mais à quoi bon avoir de l’argent si c’est pour perdre l’essentiel ?
Est-ce que vous auriez fait comme moi ? Est-ce que la vérité est toujours la meilleure solution quand on aime quelqu’un – même si elle peut tout détruire ?