Un Nouveau Départ ou une Nouvelle Désillusion ?
— Tu pars vraiment, maman ? demanda Camille, sa petite voix tremblante résonnant dans le couloir de notre appartement à Lyon. Je me suis accroupie pour la serrer contre moi, sentant son cœur battre à toute vitesse. J’avais promis que ce voyage serait le début d’une nouvelle vie pour nous deux. Mais au fond, je n’étais sûre de rien.
Mon premier mariage avec Laurent avait été un naufrage. Après des années de disputes, de silences pesants et d’infidélités, il était parti sans un regard en arrière, me laissant seule avec Camille, alors âgée de cinq ans. J’avais tout supporté pour elle, mais la solitude avait fini par me ronger. Les soirs d’hiver, je restais assise devant la fenêtre, regardant les lumières de la ville en me demandant si l’amour existait encore pour moi.
C’est sur un forum de parents célibataires que j’ai rencontré Thomas. Il était professeur de français à Boston, passionné de littérature et de jazz. Nos échanges étaient pleins d’esprit, de tendresse, et il semblait comprendre mes blessures mieux que quiconque. Après six mois à discuter chaque soir, il m’a invitée à venir passer quelques semaines chez lui. J’ai hésité longtemps. Quitter la France, même temporairement, c’était tout quitter : mon travail à la médiathèque, ma mère qui m’aidait tant avec Camille, mes repères. Mais l’idée d’un nouveau départ était trop tentante.
À l’aéroport Charles-de-Gaulle, ma mère m’a serrée dans ses bras : — Sois prudente, Élise. Les rêves américains ne sont pas toujours ce qu’on croit.
Le vol fut interminable. Camille s’est endormie sur mon épaule, et j’ai passé des heures à imaginer notre arrivée : Thomas m’attendant avec des fleurs, un sourire éclatant, sa main dans la mienne…
Mais à l’aéroport de Boston, il n’y avait ni fleurs ni sourire. Thomas était là, certes, mais fatigué, nerveux. Il a à peine embrassé Camille sur le front et m’a saluée d’un geste maladroit.
— Tu dois être fatiguée du voyage…
Dans la voiture, un silence gênant s’est installé. Les rues défilaient sous la pluie battante. Je regardais les maisons américaines défiler, toutes semblables et étrangères à la fois.
Chez lui, l’appartement était impersonnel. Pas une photo sur les murs, pas un jouet pour Camille. Il avait visiblement peu préparé notre venue. Le soir même, il a disparu dans son bureau sous prétexte de corriger des copies.
Les jours suivants ont été une succession de déceptions. Thomas travaillait tard, rentrait épuisé et peu bavard. Il semblait agacé par la présence de Camille : — Elle fait trop de bruit… Tu ne peux pas lui demander d’être plus calme ?
Je me suis retrouvée seule dans une ville inconnue, sans amis ni famille. Camille pleurait souvent le soir : — Je veux rentrer chez mamie…
J’ai tenté d’organiser des sorties au parc ou à la bibliothèque municipale, mais tout me semblait froid et distant. Les autres mères me regardaient comme une étrangère. Je n’arrivais pas à trouver ma place.
Un soir, j’ai surpris Thomas au téléphone :
— Non, je ne sais pas combien de temps elles vont rester… Oui, c’est compliqué…
Il a raccroché en me voyant :
— C’était qui ? ai-je demandé.
— Un collègue…
Mais je savais qu’il mentait. J’ai fouillé dans ses affaires et découvert des messages échangés avec une certaine Claire. Une collègue française installée à Boston depuis deux ans. Ils se voyaient régulièrement.
La colère m’a submergée. — Pourquoi m’avoir fait venir si tu ne voulais pas vraiment de nous ?
Il a haussé les épaules :
— Je croyais que ça marcherait… Mais c’est trop compliqué. Tu es différente ici.
J’ai éclaté en sanglots. Tout s’effondrait : mes espoirs d’une nouvelle famille, d’un amour réparateur… Je n’étais qu’une étrangère dans sa vie bien rangée.
J’ai appelé ma mère en pleine nuit :
— Je veux rentrer…
— Reviens, ma chérie. On t’attend.
Le lendemain matin, j’ai fait mes valises en silence pendant que Camille dormait encore. Thomas n’a rien dit. Il m’a juste aidée à porter les bagages jusqu’au taxi.
Dans l’avion du retour, Camille s’est blottie contre moi :
— On va retrouver mamie ?
— Oui, mon cœur.
En atterrissant à Lyon, j’ai respiré l’air humide du matin comme si je renaissais. Ma mère nous attendait dans le hall des arrivées. Elle m’a prise dans ses bras sans un mot.
Aujourd’hui encore, je repense à cette parenthèse américaine comme à un rêve brisé mais nécessaire. J’ai compris que fuir sa douleur ne la guérit pas. Que l’amour ne se commande pas et que parfois, il vaut mieux apprendre à s’aimer soi-même avant de chercher à être aimée par un autre.
Est-ce que j’aurais dû rester et me battre pour cette histoire ? Ou ai-je bien fait de rentrer avant de me perdre complètement ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?