Le dernier sourire de Nathan : Chronique d’un espoir brisé

« Maman, tu crois que je pourrai inviter Paul à la fête ? » La voix de Nathan résonne encore dans ma tête, aiguë, impatiente, pleine de cette joie fébrile qui me faisait sourire malgré la fatigue. Je me souviens de ce mercredi soir de juin, dans notre appartement du 12e arrondissement de Paris, alors que je terminais le glaçage du gâteau au chocolat pour la grande fête du lendemain. Il allait enfin porter mon nom. Après deux ans de démarches, d’attente, d’espoirs et de déceptions, Nathan allait devenir officiellement mon fils.

« Bien sûr, mon cœur. Demain, c’est ta journée. » Je lui ai ébouriffé les cheveux, il a ri, puis il est parti dans sa chambre préparer ses petites voitures pour les montrer à ses copains. Je n’ai pas vu l’ombre passer dans son regard. Je n’ai pas entendu le destin frapper à notre porte.

La nuit est tombée sur Paris, chaude et lourde. Nathan s’est plaint d’un mal de ventre. « C’est sûrement l’excitation, » ai-je pensé. Il a vomi une fois, puis deux. J’ai appelé la permanence médicale ; on m’a rassurée : « Donnez-lui de l’eau, surveillez-le. Si ça ne passe pas, venez aux urgences. »

À trois heures du matin, il ne respirait plus. J’ai hurlé. J’ai couru dans la rue en pyjama, Nathan dans mes bras, frappant à la porte de la voisine, criant à l’aide. Les pompiers sont arrivés en dix minutes. Dix minutes d’éternité. Dix minutes où j’ai vu la vie quitter les yeux de mon fils.

À l’hôpital Necker, ils ont tout tenté. Massage cardiaque, perfusions, cris des infirmières, regards fuyants des médecins. Puis le silence. Un silence plus assourdissant que tous les bruits du monde.

Mon compagnon, Julien, est arrivé en courant. Il a vu mon visage et il a compris. Il s’est effondré contre le mur du couloir stérile. « Non… non… c’est pas possible… »

Le lendemain matin, alors que le soleil se levait sur Paris, j’étais assise seule dans la chambre vide de Nathan. Les ballons étaient prêts, les guirlandes accrochées au plafond, le gâteau attendait sur la table. Les invités ont commencé à appeler : « On arrive dans une heure ! » Je n’ai pas su quoi dire. Comment annoncer l’impensable ?

Ma mère est venue me rejoindre. Elle a voulu ranger les affaires de Nathan tout de suite. « Ça ne sert à rien de garder tout ça… » J’ai hurlé : « Non ! Tu ne touches à rien ! » Elle a fondu en larmes. Julien s’est enfermé dans la salle de bain et n’en est pas sorti de la journée.

Les jours suivants ont été un cauchemar éveillé. La police est venue poser des questions : « Vous êtes sûre qu’il n’a rien mangé d’inhabituel ? » Les services sociaux aussi : « Vous aviez remarqué des signes avant-coureurs ? » J’avais envie de hurler à tout le monde que j’avais fait tout ce que je pouvais, que j’aimais Nathan plus que tout.

Les voisins ont déposé des fleurs devant notre porte. Certains chuchotaient dans l’escalier : « C’est toujours compliqué ces adoptions… On ne sait jamais d’où ils viennent… » J’avais envie de leur cracher au visage.

Le pire a été le retour à l’école pour annoncer la nouvelle à ses camarades. La directrice m’a prise dans ses bras : « On va organiser un temps de parole pour les enfants… » Paul, son meilleur ami, a pleuré toutes les larmes de son corps.

Julien et moi nous sommes éloignés l’un de l’autre. Il voulait tourner la page vite, reprendre le travail, ne plus parler de Nathan. Moi je voulais garder chaque souvenir vivant : son pyjama préféré sous mon oreiller, ses dessins sur le frigo, son odeur sur son coussin.

Un soir d’orage, ma mère m’a dit : « Tu dois avancer, Claire. Tu es jeune encore… Tu pourrais adopter un autre enfant… » J’ai explosé : « Nathan n’est pas remplaçable ! Ce n’est pas un objet qu’on échange ! » Elle a pleuré en silence.

J’ai commencé à écrire des lettres à Nathan chaque soir. Je lui racontais ma journée, mes peurs, mes regrets. Je lui demandais pardon de ne pas avoir su voir qu’il allait mal. Je lui promettais que je ne l’oublierais jamais.

Un jour, j’ai reçu une lettre du juge des affaires familiales : « L’adoption ne pourra être finalisée en l’absence de l’enfant… » Comme si la loi pouvait effacer deux ans d’amour et de combats.

J’ai pensé à tout arrêter. À quitter Paris, à disparaître. Mais un matin, en rangeant sa chambre, j’ai trouvé un petit mot caché sous son oreiller : « Maman Claire, je t’aime très fort. Merci d’être venue me chercher. Je suis content d’être ton fils pour toujours. »

J’ai pleuré pendant des heures en serrant ce papier contre mon cœur.

Aujourd’hui encore, je me demande : comment continuer à vivre quand on a perdu ce qu’on avait de plus précieux ? Est-ce qu’on peut survivre à la perte d’un enfant qu’on a tant désiré ? Et vous… que feriez-vous à ma place ?