Il est rentré et a dit : « Je veux divorcer » – C’est là que j’ai repensé aux mots de ma mère

« Je veux divorcer. » Les mots de Julien résonnent encore dans le couloir, froids et tranchants comme une lame. Je suis restée figée, la main sur la poignée de la porte d’entrée, le sac de courses encore suspendu à mon poignet. Notre fille, Alice, jouait dans sa chambre, inconsciente du séisme qui venait de secouer notre foyer.

— Tu plaisantes ? ai-je murmuré, la gorge serrée.

Julien n’a pas répondu tout de suite. Il s’est contenté de détourner les yeux, fixant un point invisible sur le mur du salon. J’ai senti la panique monter en moi, une vague brûlante qui me submergeait. Seize ans de vie commune, balayés en une phrase. Nous n’étions pas riches, mais nous avions notre appartement, hérité de mon grand-père, et surtout, nous avions Alice. Je croyais que cela suffisait.

Mais Julien n’a jamais été satisfait. Il voulait plus : une maison avec jardin à Suresnes, des vacances à Biarritz, une voiture neuve tous les deux ans. Moi, j’aimais notre routine : les petits déjeuners pressés, les balades au parc le dimanche, les soirées pizza devant un vieux film français. J’avais appris à me contenter de peu, à savourer les petits bonheurs. Lui, il rêvait d’ailleurs.

— Je ne peux plus continuer comme ça, Camille. J’étouffe ici.

Sa voix était lasse, presque étrangère. J’ai senti mes jambes trembler. J’ai pensé à Alice, à ses dessins accrochés sur le frigo, à ses rires qui emplissaient l’appartement. Comment lui expliquer que son père ne voulait plus de cette vie ?

J’ai repensé à ma mère. Elle m’avait souvent prévenue : « Ma fille, ne laisse jamais un homme décider de ta valeur. » Petite, je trouvais ses conseils exagérés, presque amers. Mais ce soir-là, ils prenaient tout leur sens.

— Et Alice ? Tu y as pensé ?

Julien a haussé les épaules.

— On trouvera une solution. Je veux juste être heureux.

Heureux… Ce mot m’a frappée en plein cœur. Et moi ? N’avais-je pas droit au bonheur ? Depuis des années, je faisais des compromis : je travaillais à mi-temps pour m’occuper d’Alice, je gérais l’appartement, je faisais attention à chaque centime dépensé. J’avais mis mes rêves entre parenthèses pour notre famille.

La nuit suivante fut un supplice. J’entendais Julien tourner dans le lit conjugal, puis se lever et aller dormir sur le canapé. Je me suis levée aussi, incapable de fermer l’œil. Dans la cuisine sombre, j’ai retrouvé une vieille photo de mes parents, prise lors d’un pique-nique au bois de Vincennes. Ma mère souriait à pleines dents, mon père la regardait avec tendresse. Ils avaient traversé tant d’épreuves ensemble : chômage, maladie, disputes… Mais ils étaient restés soudés.

Le lendemain matin, j’ai préparé le petit-déjeuner comme d’habitude. Alice est arrivée en pyjama licorne, les cheveux en bataille.

— Maman, pourquoi papa fait la tête ?

J’ai senti mes yeux s’embuer.

— Papa est fatigué en ce moment, ma chérie.

Julien est sorti de la salle de bain sans un mot. Il a attrapé son sac et claqué la porte derrière lui. Alice a sursauté.

Les jours suivants ont été un enchaînement d’angoisse et de silences pesants. Julien rentrait tard du travail ou dormait chez un ami. Je faisais semblant devant Alice mais chaque soir, je m’effondrais dans la salle de bain pour pleurer en silence.

Un soir, alors qu’Alice dormait déjà, ma mère m’a appelée.

— Camille, tu ne peux pas porter tout ça toute seule. Viens passer quelques jours à la maison.

J’ai hésité puis j’ai accepté. Chez elle, j’ai retrouvé un peu de paix : l’odeur du gâteau au yaourt dans le four, le vieux chat qui ronronnait sur le canapé… Ma mère m’a serrée fort contre elle.

— Tu vaux mieux que ça, ma fille. Si Julien ne sait pas voir ce qu’il a devant lui, c’est lui qui perd tout.

Ses mots m’ont réchauffée comme un rayon de soleil en hiver.

Après quelques jours loin de l’appartement, j’ai pris une décision : je n’allais plus subir. J’ai appelé Julien pour lui proposer une discussion franche.

— On ne peut pas continuer comme ça pour Alice. Si tu veux vraiment divorcer, faisons-le proprement. Mais sache que je ne me laisserai pas écraser.

Julien semblait surpris par mon ton ferme. Il a accepté de venir discuter autour d’un café.

— Camille… Je suis désolé pour tout ça. Je crois que je me suis perdu en route.

Je l’ai regardé droit dans les yeux.

— Moi aussi je me suis perdue… mais je compte bien me retrouver.

Nous avons parlé longtemps : des reproches accumulés, des rêves oubliés, des frustrations jamais exprimées. Pour la première fois depuis des années, j’ai osé dire ce que j’avais sur le cœur :

— J’ai mis ma vie entre parenthèses pour toi et pour Alice… Mais aujourd’hui j’ai besoin de penser à moi aussi.

Julien a baissé la tête.

— Je comprends… Peut-être qu’on s’est oubliés tous les deux.

Nous avons décidé d’entamer une thérapie de couple avant de prendre une décision définitive. Pour Alice mais aussi pour nous-mêmes.

Aujourd’hui encore rien n’est réglé mais je sens que quelque chose a changé en moi. J’ai retrouvé un peu de cette force que ma mère m’a transmise : celle de ne pas laisser quelqu’un d’autre décider de ma valeur.

Parfois je me demande : combien sommes-nous en France à vivre dans l’ombre des compromis silencieux ? À quel moment décide-t-on que notre bonheur compte autant que celui des autres ?