Comment j’ai élevé une fille qui rejette toujours la faute sur les autres : le combat d’une mère face à l’irresponsabilité

« C’est encore la faute de Madame Lefèvre ! » La voix d’Élise résonne dans le salon, tranchante, presque accusatrice. Je serre la tasse de café entre mes mains, tentant de masquer le tremblement de mes doigts. Ce matin-là, comme tant d’autres, ma fille rentre du lycée furieuse, jetant son sac sur le canapé avec une violence qui me fait sursauter. « Elle m’a humiliée devant toute la classe ! Elle ne m’aime pas, c’est évident ! »

Je prends une inspiration, cherchant les mots justes. « Peut-être que… tu pourrais lui parler calmement ? » Mais Élise me coupe, les yeux brillants de larmes contenues : « Tu ne comprends jamais rien ! »

Je me revois, il y a quinze ans, serrant ce petit bébé contre moi à la maternité de Nantes. J’avais juré de la protéger du monde entier. Peut-être ai-je trop bien tenu cette promesse. Dès qu’elle tombait, je courais. Dès qu’elle pleurait, je cédais. Je voulais qu’elle soit heureuse, qu’elle ne manque de rien. Mais aujourd’hui, je me demande si je n’ai pas construit autour d’elle une bulle si épaisse qu’aucune frustration ne pouvait l’atteindre.

Les années ont passé et les disputes se sont multipliées. À l’école primaire déjà, Élise accusait ses camarades de tricherie quand elle perdait à la marelle. Au collège, c’était la faute des professeurs si elle avait une mauvaise note. Jamais un « j’aurais pu mieux faire », toujours un « ils sont contre moi ».

Son père, Laurent, tentait parfois d’intervenir : « Tu sais, Élise, dans la vie, il faut apprendre à reconnaître ses torts… » Mais elle haussait les épaules et s’enfermait dans sa chambre en claquant la porte. Laurent finissait par soupirer : « Laisse-la respirer, Claire. Elle finira bien par comprendre… »

Mais rien ne changeait. Pire : plus elle grandissait, plus son ressentiment envers le monde semblait grandir avec elle. À seize ans, elle a eu sa première rupture amoureuse. Elle est rentrée en larmes : « C’est lui qui est immature ! Il ne sait pas ce qu’il veut ! » J’ai tenté de la consoler, mais au fond de moi, une inquiétude sourde s’est installée.

Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres de notre appartement à Rennes, j’ai surpris une conversation entre Élise et sa meilleure amie, Camille. « Tu sais, c’est toujours pareil avec ma mère. Elle ne comprend rien à ma vie. Et puis les profs… ils me détestent tous ! » Camille a tenté de lui dire : « Peut-être que tu pourrais essayer de voir les choses autrement ? » Mais Élise a éclaté : « Tu prends leur parti maintenant ? »

J’ai compris ce soir-là que le problème n’était plus seulement entre elle et moi. C’était devenu un mode de fonctionnement.

Les repas familiaux sont devenus des champs de bataille silencieux. Un mot de travers et tout explosait. Un jour, alors que nous étions invités chez mes parents à Angers pour Noël, ma mère a osé lui demander : « Et alors Élise, comment ça se passe au lycée ? » Élise a levé les yeux au ciel : « Comme d’habitude… Les profs sont injustes et les autres sont tous hypocrites ! » Un silence gênant s’est installé autour de la table.

Après le repas, ma mère m’a prise à part : « Claire… Tu devrais peut-être être plus ferme avec elle. On ne peut pas toujours accuser les autres… » J’ai senti la colère monter en moi : « Tu crois que je n’essaie pas ? Tu crois que c’est facile ? »

Mais au fond, je savais qu’elle avait raison.

J’ai tenté d’en parler à Laurent : « On a raté quelque chose… On aurait dû lui apprendre à accepter ses erreurs… » Il m’a regardée tristement : « On a voulu trop bien faire… »

Un jour, tout a basculé. Élise a été accusée d’avoir triché lors d’un contrôle de maths. Elle est rentrée furieuse : « C’est injuste ! C’est Paul qui m’a dénoncée parce qu’il est jaloux ! » J’ai voulu la défendre auprès du professeur mais celui-ci m’a répondu calmement : « Madame Dubois, votre fille doit apprendre à assumer ses actes. Nous ne pouvons pas toujours tout excuser… »

Ce soir-là, j’ai pleuré en silence dans ma chambre. Je me suis revue céder à chaque caprice, excuser chaque colère. J’ai compris que mon amour avait peut-être été trop protecteur, trop inconditionnel.

J’ai décidé d’affronter Élise. Je suis entrée dans sa chambre sans frapper. Elle était allongée sur son lit, les écouteurs vissés sur les oreilles.

— Élise… Il faut qu’on parle.

Elle a roulé des yeux mais n’a pas protesté.

— Tu sais… Je t’aime plus que tout au monde. Mais tu ne peux pas passer ta vie à accuser les autres de tes malheurs. Parfois… il faut regarder en soi.

Elle a détourné le regard.

— Tu dis ça parce que tu ne comprends pas ce que je vis !

— Peut-être… Mais moi aussi j’ai fait des erreurs. Et j’ai appris à demander pardon.

Un silence lourd s’est installé.

— Je veux t’aider… Mais il faut que tu acceptes de te remettre en question.

Pour la première fois depuis longtemps, j’ai vu une larme couler sur sa joue.

— J’ai peur d’être nulle… Si ce n’est pas la faute des autres… alors c’est moi le problème ?

Je l’ai prise dans mes bras.

— Non, ma chérie… Ce n’est pas une question de faute ou de problème. C’est juste apprendre à grandir.

Depuis ce soir-là, rien n’a vraiment changé du jour au lendemain. Mais parfois, j’aperçois chez Élise une hésitation avant d’accuser quelqu’un d’autre. Un doute qui n’existait pas avant.

Je me demande souvent : ai-je été une mauvaise mère ? Est-il possible de réparer ce que l’on a mal transmis ? Ou bien sommes-nous tous condamnés à répéter les mêmes erreurs ?