Quand la solitude frappe à la porte : l’histoire de ma renaissance grâce à ma voisine Camille
— Tu vas encore passer la soirée toute seule, Madeleine ?
La voix de Camille résonne à travers la cloison fine de nos appartements, dans cette résidence paisible de Tours. Je sursaute, la tasse de thé tremblant dans ma main. Depuis que mes enfants sont partis vivre à Paris et à Nantes, le silence est devenu mon compagnon le plus fidèle. J’ai 68 ans, et chaque soir, je me demande comment j’ai pu me retrouver aussi seule après tant d’années à courir partout pour eux.
Je me lève péniblement du canapé, la hanche douloureuse. « Oui, Camille, comme d’habitude », je réponds d’une voix éteinte. Elle frappe à ma porte quelques minutes plus tard, un sourire lumineux sur le visage et une tarte aux pommes encore tiède entre les mains.
— Tu sais, Madeleine, tu devrais venir au club de lecture avec moi jeudi. Ça te ferait du bien de voir du monde.
Je soupire. Voir du monde… Je n’ai plus l’habitude. Depuis que Pierre est parti il y a dix ans et que les enfants ont construit leur vie ailleurs, je me suis recroquevillée sur moi-même. Les appels se font rares : « Désolée Maman, on est débordés avec les petits », « On viendra te voir bientôt, promis ». Mais bientôt ne vient jamais vraiment.
Camille s’assoit à côté de moi, sans attendre d’invitation. Elle a 42 ans, deux enfants adolescents qui passent leur temps à râler contre le lycée et les devoirs. Pourtant, elle trouve toujours un moment pour venir me voir. Elle parle beaucoup, mais surtout elle écoute. Elle ne juge pas quand je lui confie que parfois, je pleure en regardant les photos de famille accrochées au mur.
Un soir d’hiver, alors que la pluie tambourine contre les vitres, mon téléphone sonne. C’est mon fils, Thomas.
— Maman, tu vas bien ? Tu ne t’ennuies pas trop ?
Je mens : « Non, tout va bien. Camille passe souvent me voir. »
Il pousse un soupir de soulagement. « Je culpabilise de ne pas être plus présent… Mais si tu as Camille… »
Je sens sa voix se briser un peu. Je voudrais lui dire que rien ne remplacera jamais la présence de ses enfants, mais je me tais. Je ne veux pas être un poids.
Les semaines passent. Camille m’entraîne au marché du samedi matin, au cinéma municipal où l’on projette des vieux films français. Elle m’apprend à utiliser WhatsApp pour envoyer des photos aux petits-enfants. Petit à petit, je reprends goût aux petites choses : le parfum du pain chaud, le rire des enfants dans la cour de l’école voisine, la lumière dorée sur la Loire au crépuscule.
Mais tout n’est pas si simple. Un dimanche, alors que mes enfants viennent enfin déjeuner à la maison, une dispute éclate. Ma fille Claire me reproche de trop compter sur Camille :
— Tu devrais nous demander de l’aide à nous !
Je sens la colère monter :
— Mais vous n’êtes jamais là ! Camille est là quand j’ai besoin d’elle !
Un silence gênant s’installe autour de la table. Les petits-fils baissent les yeux sur leurs assiettes.
Après leur départ précipité, je m’effondre en larmes dans les bras de Camille.
— Tu sais, Madeleine, ce n’est pas facile pour eux non plus. Ils t’aiment mais ils ont leur vie…
Je hoche la tête. Je comprends mais ça fait mal. La solitude n’est pas un choix ; c’est une réalité qui s’impose quand tout le monde pense que tu vas bien parce que tu ne dis rien.
Un matin d’avril, alors que les cerisiers sont en fleurs dans la cour de la résidence, Camille m’annonce qu’elle va déménager pour suivre son mari muté à Lyon.
Le sol se dérobe sous mes pieds.
— Et moi ?
Elle me serre fort dans ses bras.
— Tu as appris à t’ouvrir aux autres. Tu n’es plus seule maintenant. Tu verras, tu trouveras d’autres amis ici.
Le jour du départ arrive trop vite. Je l’aide à charger ses cartons dans la voiture. Les larmes coulent sans retenue sur mes joues ridées.
Le soir même, je reçois un message sur WhatsApp : une photo de Camille et sa famille dans leur nouveau salon, un cœur dessiné avec des emojis.
Je souris tristement en regardant autour de moi. Le silence est revenu mais il n’est plus aussi pesant qu’avant. J’ai appris à apprivoiser ma solitude et à tendre la main vers les autres résidents de l’immeuble. J’ai même invité Lucienne du troisième à prendre le thé demain.
Est-ce cela vieillir ? Apprendre à dire au revoir tout en gardant une place pour l’espoir ? Peut-on vraiment se reconstruire après avoir tout donné à sa famille ? Qu’en pensez-vous ?