Douze ans après : Le retour inattendu de mon ex-mari
— Tu vas ouvrir, maman ?
La voix de Camille résonne dans le couloir, tremblante d’impatience. Je regarde l’horloge : 19h12. Qui peut bien venir à cette heure-ci ? Je pose mon torchon, essuie mes mains moites sur mon jean, et j’ouvre la porte. Là, sur le palier, sous la lumière blafarde de l’immeuble, il est là. François. Mon ex-mari. Douze ans que je n’ai pas vu son visage. Douze ans depuis qu’il m’a laissée seule avec deux enfants et un cœur en miettes.
— Bonsoir, Claire.
Sa voix est la même, grave et douce à la fois. Mais elle ne me berce plus ; elle me glace. Je reste figée, incapable de prononcer un mot. Camille s’approche derrière moi, curieuse.
— C’est qui, maman ?
Je sens mon cœur tambouriner dans ma poitrine. Je voudrais refermer la porte, hurler, pleurer. Mais je reste là, plantée comme une idiote.
— C’est… c’est ton père.
Le silence tombe, lourd comme une chape de plomb. Camille a seize ans maintenant. Elle ne se souvient de lui qu’à travers quelques photos jaunies et des souvenirs flous. Paul, son frère aîné, n’est pas encore rentré du lycée.
François baisse les yeux. Il tient un sac de voyage à la main. Il a vieilli, des rides creusent son front, ses cheveux sont parsemés de gris. Mais ce sont surtout ses yeux qui ont changé : ils semblent fatigués, presque suppliants.
— Je peux entrer ?
Je voudrais dire non. Je voudrais lui jeter à la figure tout ce que j’ai enduré : les nuits blanches à pleurer, les factures impayées, les anniversaires où il n’a jamais appelé. Mais je sens Camille qui me regarde, avide de comprendre.
Je m’écarte et le laisse passer.
Dans le salon, il s’assied timidement sur le canapé. Camille s’installe en face de lui, les bras croisés.
— Pourquoi t’es là ?
François hésite, cherche ses mots.
— J’ai… j’ai fait beaucoup d’erreurs. Je sais que je n’ai aucune excuse. Mais j’aimerais… j’aimerais vous revoir. Recommencer quelque chose avec vous deux…
Je sens la colère monter en moi.
— Recommencer ? Après douze ans ? Tu crois que tu peux débarquer comme ça et tout effacer ?
Il baisse la tête.
— Je ne veux pas tout effacer. Je veux réparer ce que j’ai brisé…
Camille se lève brusquement.
— Tu crois qu’on t’attendait ? Maman a tout fait toute seule ! Moi je ne te connais même pas !
Elle claque la porte de sa chambre. Le silence retombe. François me regarde, les yeux humides.
— Claire… Je suis désolé. J’ai quitté Sophie il y a six mois. J’ai compris trop tard ce que j’avais perdu…
Je serre les poings pour ne pas pleurer. Je repense à toutes ces années où j’ai dû me battre seule : les réunions parents-profs où j’étais la seule mère célibataire, les vacances annulées faute d’argent, les regards compatissants des voisins dans notre petite ville de province.
— Tu sais ce que c’est d’élever deux enfants seule ? Tu sais combien de fois j’ai cru m’effondrer ?
Il hoche la tête.
— Je ne peux pas te demander pardon… Mais laisse-moi au moins essayer d’être là pour eux maintenant.
Paul rentre à ce moment-là. Il s’arrête net en voyant son père.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
François se lève maladroitement.
— Paul… Je voulais te voir. Vous voir tous les deux…
Paul ricane amèrement.
— T’as raté douze ans de notre vie. T’as raté mon bac, mes matchs de foot… T’étais où quand maman pleurait dans la cuisine ?
Je sens mes jambes flancher. Je m’assieds à côté de Paul et lui prends la main.
François reste debout, perdu.
— Je comprends que vous soyez en colère… Mais je veux essayer d’être un père maintenant.
Paul détourne le regard.
— C’est trop tard.
La soirée s’étire dans une tension insupportable. François finit par partir, laissant derrière lui un parfum d’amertume et de regrets. Camille refuse de sortir de sa chambre ; Paul s’enferme dans le silence.
Je me retrouve seule dans la cuisine, face à mon reflet dans la vitre noire. Douze ans à recoller les morceaux, à reconstruire une famille sans lui. Et maintenant ? Est-ce que je dois lui laisser une chance ? Est-ce qu’on peut vraiment pardonner l’impardonnable ?
Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment tourner la page du passé ou finit-on toujours par y revenir ?