Entre Deux Feux : Quand la Famille Devient un Champ de Bataille
— Camille, tu ne peux pas continuer comme ça ! Tu vas finir par t’effondrer, tu m’entends ?
La voix de ma mère résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Dehors, la pluie martèle les vitres de notre appartement à Nantes. Je voudrais disparaître, juste un instant, pour ne plus avoir à choisir.
Depuis que la maladie de ma belle-mère, Monique, s’est aggravée, tout s’est compliqué. Julien, mon mari, est fils unique. Il travaille tard à l’hôpital et moi, je jongle entre mon poste d’institutrice et les allers-retours chez Monique. Ma propre mère, Hélène, ne comprend pas pourquoi je m’investis autant pour une femme qui n’est « que » ma belle-mère.
— Tu as ta vie aussi ! Tu as ta famille !
Je baisse les yeux. Ma famille… Mais qui est-elle vraiment ? Celle qui m’a élevée ou celle que j’ai choisie en épousant Julien ?
Le téléphone sonne. C’est Julien. Sa voix est lasse :
— Maman a encore fait une chute. Le médecin dit qu’il faudrait penser à une aide à domicile…
Je sens la colère monter en moi. Pourquoi tout repose-t-il sur moi ? Pourquoi suis-je la seule à courir partout ?
Le soir, chez Monique, l’odeur de soupe flotte dans l’air. Elle me regarde avec ses yeux fatigués.
— Tu es gentille, Camille. Mais tu ne devrais pas te sacrifier comme ça…
Je souris faiblement. Elle ne sait pas que je me sens coupable chaque fois que je rentre trop tard pour coucher mes enfants, ou que j’annule un dîner avec ma mère.
Un dimanche, alors que je prépare le repas pour tout le monde, la tension explose.
— Tu n’es jamais là pour tes propres enfants ! s’écrie Hélène en claquant la porte du salon.
Julien me lance un regard désolé. Monique baisse la tête. Je voudrais hurler que je fais de mon mieux, que je n’ai pas choisi cette situation.
Les semaines passent. Les reproches s’accumulent comme des factures impayées. Je dors mal, je mange peu. Un matin, je m’effondre devant l’école. Les pompiers arrivent. Julien accourt.
À l’hôpital, ma mère pleure.
— Je ne voulais pas te faire de mal…
Monique vient aussi. Elle prend ma main.
— Camille, tu dois penser à toi maintenant.
Je réalise alors que j’ai voulu être parfaite pour tout le monde. Mais à force de vouloir tout porter, j’ai tout laissé tomber.
Après ma convalescence, nous décidons d’embaucher une aide-soignante pour Monique. Julien prend plus de temps avec les enfants. Ma mère accepte enfin de venir dîner chez nous avec Monique.
Un soir d’été, autour d’une tarte aux pommes, Hélène et Monique échangent enfin quelques mots doux. Je respire mieux. Peut-être qu’on peut aimer sans choisir un camp.
Mais parfois, la nuit, je me demande : pourquoi est-ce toujours aux femmes de porter ces fardeaux invisibles ? Est-ce qu’on peut vraiment concilier toutes nos loyautés sans se perdre soi-même ? Qu’en pensez-vous ?