Vert de Jalousie : Mon Combat contre le Favoritisme de Mon Beau-Père au Mariage de Ma Sœur
« Camille, tu pourrais éviter de marcher sur la traîne de la robe, s’il te plaît ? » La voix de mon beau-père, Philippe, claque dans la salle des fêtes comme un coup de fouet. Je me fige, les joues en feu, sous le regard amusé de ma sœur, Élodie, la mariée du jour. Tout le monde s’affaire autour d’elle : maman ajuste le voile, Philippe distribue des sourires et des conseils, les invités s’émerveillent. Moi, je me sens invisible, ou pire, encombrante.
Depuis que je suis petite, Philippe est « papa ». Mon vrai père est parti avant que j’aie deux ans. Je n’ai jamais connu que Philippe, ses blagues un peu lourdes et ses bras rassurants. J’ai appris à l’aimer comme un père, sans jamais douter de sa place dans ma vie. Mais aujourd’hui, alors qu’Élodie rayonne dans sa robe ivoire, je ne peux m’empêcher de ressentir une morsure amère : pourquoi n’ai-je jamais eu droit à autant d’attention ?
« Élodie, tu es magnifique ! » s’exclame-t-il en l’embrassant sur le front. Il lui tend un écrin : une paire de boucles d’oreilles en or blanc. « C’est pour toi, ma princesse. » Je détourne les yeux. Pour mes vingt-cinq ans, il m’avait offert un livre sur l’histoire de France — intéressant, certes, mais impersonnel. Je me souviens avoir souri poliment, étouffant une pointe de déception.
Je m’approche timidement d’Élodie. « Tu veux que je t’aide à mettre tes chaussures ? » Elle me lance un regard distrait : « Non merci, papa va le faire. » Encore lui. Toujours lui.
Le repas approche. Les invités se pressent autour du buffet. Philippe fait le tour des tables, trinque avec les amis d’Élodie et du futur marié, Paul. Il me croise à peine du regard. Je me retrouve coincée entre deux cousines éloignées qui parlent bébé et déco intérieure. Je souris machinalement, mais mon cœur bat trop vite.
Je repense à l’adolescence. À cette révélation brutale : « Tu sais, Camille… Philippe n’est pas ton vrai père. » Maman avait murmuré ça un soir d’orage. J’avais douze ans. J’avais pleuré dans mon lit, puis j’étais allée voir Philippe. Il m’avait serrée fort contre lui : « Je t’aime comme si tu étais ma fille. Rien ne changera ça. » J’y avais cru.
Mais aujourd’hui, tout vacille. Je vois les regards complices entre Philippe et Élodie, leurs éclats de rire partagés, leurs souvenirs communs — les vacances à Arcachon, les matchs de foot du dimanche matin auxquels je n’étais jamais conviée parce que « ce n’est pas ton truc, ma grande ». Je comprends soudain que j’ai toujours été en marge.
La soirée avance. Les discours commencent. Philippe prend la parole : « Élodie est la lumière de ma vie… » Il raconte sa naissance prématurée, ses premiers pas dans le jardin familial à Angers, ses rêves d’enfant. Il pleure presque en évoquant leur complicité. Je sens une boule se former dans ma gorge.
Maman me serre la main sous la table. Elle chuchote : « Tu sais qu’il t’aime aussi… » Mais je n’en suis plus sûre.
Après le dessert, je m’éclipse dehors pour respirer. L’air frais me gifle le visage. J’entends des pas derrière moi.
— Camille ?
C’est Élodie. Elle s’approche, hésitante.
— Tu fais la tête ?
Je secoue la tête mais mes yeux brillent.
— Non… C’est juste… J’ai l’impression d’être transparente aujourd’hui.
Elle soupire.
— Tu sais bien que papa est comme ça… Il ne se rend pas compte.
Je ris jaune.
— Facile à dire quand on est sa préférée.
Elle fronce les sourcils.
— Arrête avec ça ! Tu crois que c’est facile pour moi ? Il me met une pression énorme… Je dois toujours être parfaite à ses yeux.
Je la regarde vraiment pour la première fois depuis longtemps. Derrière son sourire éclatant se cache une fatigue que je n’avais pas vue.
— Tu sais… commence-t-elle en baissant la voix, il parle souvent de toi à ses collègues. Il dit qu’il est fier de ta carrière…
Je hausse les épaules.
— Ce n’est pas pareil. Il ne me le dit jamais à moi.
Un silence gênant s’installe.
— Peut-être qu’il faudrait lui dire ce que tu ressens ? propose-t-elle timidement.
Je secoue la tête.
— À quoi bon ? Il ne changera pas.
La nuit tombe sur la campagne angevine. Les lampions s’allument dans le jardin. Je regarde les ombres danser sur la pelouse et je sens mes larmes couler sans bruit.
Plus tard, alors que tout le monde danse et rit sous la tente blanche, je m’approche de Philippe qui fume une cigarette à l’écart.
— Papa…
Il se retourne, surpris par mon ton grave.
— Oui ?
Je prends une grande inspiration.
— Est-ce que tu m’aimes vraiment comme ta fille ?
Il semble déstabilisé.
— Mais enfin Camille… Bien sûr ! Pourquoi tu me demandes ça ?
Ma voix tremble :
— Parce que parfois j’ai l’impression que tu préfères Élodie… Que je ne compte pas autant pour toi.
Il écrase sa cigarette avec nervosité.
— Tu sais… Je ne suis pas doué pour exprimer ce que je ressens. Mais tu es ma fille aussi. Peut-être que je ne te le montre pas assez… Je suis désolé si tu as pu en douter.
Un silence lourd tombe entre nous. Puis il pose maladroitement sa main sur mon épaule.
— Tu veux qu’on danse ?
J’acquiesce en souriant tristement. Nous rejoignons la piste sous les regards attendris des invités. Pour la première fois depuis longtemps, je sens un début d’apaisement.
Mais au fond de moi subsiste une question lancinante : pourquoi faut-il toujours lutter pour être aimé à égalité dans une famille recomposée ? Est-ce que d’autres ressentent cette même jalousie silencieuse ?